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  • Philippe Chauvin : "Aujourd’hui, on peut mourir sur un terrain de rugby"

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    En 2018, Nicolas, âgé de 18 ans, joue son premier match sous les couleurs des espoirs du Stade Français. Quelques minutes plus tard, il succombe à un double plaquage ultra violent. Dans un livre poignant, "Rugby, mourir fait partie du jeu", son père Philippe Chauvin interroge la sécurité des joueurs.

    C’est le témoignage d’un père endeuillé qui s’écrit sur plus de 200 pages dans Rugby : Mourir fait partie du jeu paru le 5 avril. Philippe Chauvin a perdu un fils, sur un terrain de rugby en 2018. Âgé de seulement 18 ans et évoluant dans la catégorie espoirs (c’est-à-dire “jeune élite”) de son club le Stade Français, Nicolas est percuté dès les premières minutes par deux joueurs à la fois. Le choc est tel qu’il lui arrache une vertèbre, et le conduit à la mort. Un drame qui ne semble pourtant pas faire évoluer la prise en compte de la sécurité des joueurs sur le terrain. Doctissimo a eu l'occasion d'interviewer l'auteur de ce témoignage poignant.

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    Pour quelles raisons souhaitez-vous écrire aujourd’hui sur le drame qu’a connu Nicolas, votre fils ?

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    Philippe Chauvin : J’ai écrit pour partager une douloureuse expérience. Non pas pour émouvoir, mais pour donner des clés et montrer les coulisses de comment sont traités ces accidents aujourd’hui. De l'extérieur, dans le rugby vous avez l’impression d’être entourés, d’appartenir à une belle famille qui ne vous laissera pas tomber. Que la vie de chaque joueur est importante. Mais de l'intérieur, on s'aperçoit qu’il y a beaucoup de communication. Au-delà de ça, concernant les accidents, la sécurité, on note beaucoup de gesticulations, mais le danger est toujours présent, rien n’est fait rien pour résoudre le sujet et protéger les joueurs. Or, quand on joue, on sait qu'il y a un risque, possible, qu’on assume. Mais ne rien dire, ne rien faire, c’est transférer ce danger aux autres. Et personne ne veut voir son fils, ou sa compagne connaître le même destin que Nicolas.

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    Votre fils a subi un arrachement de vertèbre, une lésion de la moelle épinière, un arrêt cardiaque. Le rugby est-il devenu si violent ?

    Philippe Chauvin : Le professionnalisme a amené 2 choses. Il y a d’une part, la transformation des joueurs, qui ont pris beaucoup de masse musculaire et en même temps, ont plus de vélocité. L'énergie est décuplée. D’autre part, les années 2010 a vu une stratégie de “casse brique” se mettre en place, pour produire le phénonème Jonah Lomu, (un joueur néo-zélandais hors normes, capable de briser la défense, NDLR), avec le but d’avoir de super-armes sur le terrain aux gabarits imposants qui vont pouvoir défoncer la ligne adverse. Nicolas, qui attendait un ballon à l'arrêt, a reçu deux joueurs puissants lancés depuis 10 mètres, pour le percuter. Il a reçu des chasseurs formés pour cela… C'est là qu’il faut mettre du discernement.

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    Les accidents du passé n'engendrent-ils pas de mesures préventives pour protéger les joueurs ?

    Philippe Chauvin : Ce serait bien oui. Le problème est qu'il y a des fautes, mais qu’elles se reproduisent, ce qui signifie qu’elles ne sont pas suffisamment sanctionnées. C’est ce que je dénonce dans mon livre. Certaines fautes sont bien qualifiées de jeux "dangereux” et appellent à 6 semaines de suspension. Mais quand le club plaide coupable, on divise la peine par deux. Vous auriez pu tuer quelqu'un, mais on allège votre peine. Aujourd’hui, on peut donc mourir sur un terrain de rugby après un plaquage pro, mais trop violent, qui vous arrache les cervicales. C’est effrayant, mais pour autant, on voit toujours des mouvements similaires, même dans des matchs internationaux.

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    Qu’est-il fait dans les clubs, chez les jeunes pour éviter cela ?

    Philippe Chauvin : Il y a un paradoxe : le rugby c'est 95% d'amateurs et 5 % de pro. Mais chez les amateurs, il existe plusieurs mesures, notamment un programme de jeu appelé “bien jouer”, mis en place en 2018, qui doit apprendre aux jeunes à privilégier des actions de jeux plutôt que le passage en force. C'est un programme qui va de 6 à 12 ans, développé et encouragé par la fédération et des éducateurs.

    Mais sur le terrain, vous n'êtes pas à l'abri d’avoir un éducateur un peu trop dans la compétition ou un peu trop déviant. Il est difficile de combattre des vieux démons. Il existe aussi malheureusement une banalisation de la violence vu chez les professionnels qui est néfaste pour les jeunes : obtenir un simple carton jaune quand on a assommé un autre joueur n’est pas normal.

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    L’accident de Nicolas a-t-il provoqué une prise de conscience dans le rugby ? Des réactions ?

    Philippe Chauvin : Il y a eu clairement deux temps. Dans un premier, il y a eu des regrets, un soutien, des promesses…. Mais quelques mois plus tard, plus rien. Les membres de la fédération répondent poliment, puis ne répondent plus. Vous les alimentez de fait divers suite à des plaquages trop appuyés (notamment celui d’un adolescent) et vous faites face à la politique de l’autruche. On ne réagit pas au simple principe que plus on va réagir, plus cela va alimenter la polémique. C'est un peu comme si mon fils n'existait pas, que rien de n’était passé.

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    Vous avez déposé plainte. Où en êtes-vous ?

    Philippe Chauvin : Elle est en instruction. C’est long, mais heureusement qu’on l’a fait. Si je ne l’avais pas fait, il n’y aurait rien. Il n’y a pas eu de commission disciplinaire, il n’y a rien eu. Un gamin de 18 ans meurt sur un terrain de rugby et c’est comme s’il ne s'était rien passé. Cette plainte et ce livre sont aujourd’hui ma seule manière de responsabiliser les joueurs sur la dangerosité de leurs actes et de leurs limites. Et la seule façon de garder encore ouvert le dossier de Nicolas.

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    Sources
    • Entretien mené avec Philippe Chauvin, auteur de "Rugby : mourir fait partie du jeu" aux Editions du Rocher, le 11 avril 2023.
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