Grille-pain, plaques de fibrociment, garnitures de frein, réfrigérateurs, peintures... En France plus qu'ailleurs, l'amiante a longtemps eu la cote, même après que sa nocivité ait été prouvée. Finalement interdite en 1997, l'amiante sera responsable de 100 000 décès d'ici à 2025.
Avec 100 000 morts à venir d'ici 2025, l'amiante est une véritable bombe à retardement. Interdiction tardive, inaction des politiques, instructions gelées... La gestion du dossier de l'amiante reste à plus d'un titre une exception française.
Hécatombe annoncée
Dix ans après qu'éclate le scandale de l'amiante et sept ans après son interdiction, cette fibre continue à faire des ravages. Le bilan se chiffre aujourd'hui à 3 000 décès par an. Parmi les conséquences de l'inhalation de ce minéral, le cancer du poumon et le mésothéliome (ou cancer de la plèvre) sont parmi les pathologies les plus fatales. Pire encore, si l'on tient compte du délai moyen entre l'exposition et l'apparition des premiers symptômes ainsi que de la quantité d'amiante utilisée ces dernières années, ce bilan devrait encore augmenter. Les estimations retenues aujourd'hui font état de 100 000 morts d'ici 2025.
Et ce n'est pas une secte apocalyptique qui le dit mais le Pr. Marcel Goldberg, spécialiste des conséquences sanitaires de ces fibres auprès de l'institut de veille sanitaire et coordinateur de l'étude sur "les effets sur la santé des fibres de substitution à l'amiante" demandée par le gouvernement et rendue publique en 1996.
Une telle hécatombe fait de l'amiante la plus grande catastrophe de santé publique jamais connue en France. Comment en est-on arrivé là ?
Dix à vingt ans d'inaction
Un bref coup d'oeil aux grandes dates de cette affaire permet de comprendre que la France a eu vis-à-vis de ce produit une politique assez singulière. Alors que les risques cancérigènes de ce minéral étaient connus depuis les années 1950-1960, il faudra attendre 1997 pour voir la France définitivement l'interdire. Entre le début des années 1980 et 1997, aucune mesure décisive n'a été prise. Auteur du livre "Amiante : 100 000 morts à venir", François Malye dénonce l'immobilisme des industriels et la complicité des politiques. Selon lui, "grâce à une minimisation mensongère des dangers de l'amiante, à la menace de fermeture d'usine, à des lobbying auprès de la communauté scientifique mais aussi politique, la France a eu vis-à-vis de l'amiante une conduite unique qui a abouti à dix ou quinze ans durant lesquels la France va renâcler à abaisser ces limites, interdire telle variété d'amiante et pas telle autre ou retarder la transposition de directive européenne dans le droit national". Finalement, la santé de milliers de Français a été sacrifiée au nom des intérêts de quelques multinationales françaises et de la préservation de l'emploi.
La troisième vague de victimes
Les premières victimes de l'amiante sont les ouvriers des usines qui transformaient l'amiante : textile, bâtiment, électroménager, chantiers navals, automobile... Rappelons que l'amiante rentrait dans la composition de plus de trois mille produits courants. Essoufflement, insuffisance respiratoire... L'évolution de la maladie entre chimiothérapie et séjours à l'hôpital laisse malheureusement peu de doutes. Le mésothéliome est parmi les cancers les plus dévastateurs.
Aujourd'hui, de nouvelles victimes apparaissent, des personnes qui n'ont pas directement été exposées au fameux minéral dans le cadre de leur profession : des peintres, des enseignants, des chercheurs... Chez eux, l'exposition à l'amiante a été épisodique mais fatale.
"Entre 15 et 25 % des mésothéliomes seraient ainsi dus à ces expositions environnementales, une réalité qui va de l'inhalation des fibres dans des locaux isolés à l'amiante aux riverains des usines ... Contrairement à ce que la politique de l'amiante a longtemps essayé de faire croire, le danger n'est pas limité aux seules entreprises de transformation de l'amiante. Les produits qui sortaient de ces usines se retrouvent dans l'environnement et exposent à un risque d'inhalation de ces fibres" précise François Malye. Ces nouvelles victimes, les Américains lui ont donné un nom : la troisième vague après les ouvriers et les professions du bâtiment.
A quand un procès pénal ?
Depuis l'interdiction de l'amiante, les victimes ont obtenu beaucoup et bien peu à la fois. En 1997, la reconnaissance de "la faute inexcusable" de l'employeur pour les cas de maladie professionnelle aboutit à des centaines de condamnations. En 2000, le tribunal administratif de Marseille reconnaît la faute de l'Etat. En 2001, le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) est créé pour faciliter la réparation financière.
Mais sur le plan pénal, aucune avancée réelle et c'est là que le bas blesse. Fin novembre 2004, 140 veuves de la région de Dunkerque qui ont toutes perdu leur mari en raison d'un cancer provoqué par l'amiante, affirment leur colère pour protester contre "l'enterrement des procédures pénales". Au-delà de l'indemnisation financière, ces femmes réclament justice. Tout comme l'Association nationale des victimes de l'amiante (Andeva), elles veulent que des responsabilités soient mises à jour. Des responsabilités industrielles et politiques.
"Aucun procureur n'a daigné ouvrir une information judiciaire et chercher les responsabilités. A part un non-lieu récent à Dunkerque, les plaintes engagées sur le plan Pénal sont enlisées depuis 8 ans auprès de différents Parquets" regrette François Malye. Pour quelles raisons ? On peut imaginer les conséquences d'un procès pénal contre les industriels, qui ne manqueraient pas de se réfugier derrière une législation insuffisante, appelant ainsi à la barre les représentants politiques de l'époque. Résultat de ce jeu d'intimidation, un statu quo. "Mais devant la volonté des victimes et de leurs familles, je ne vois pas comment la France pourrait faire l'économie d'un procès historique" conclut François Malye. Souhaitons qu'il dise vrai, pour le respect des victimes.
"Amiante : 100 000 morts à venir" de François Malye - Le Cherche Midi - 17 €