Un médicament capable de prévenir le cancer de la prostate ?
Selon une étude américaine, un médicament pourrait réduire le risque de survenue d'un cancer de la prostate. Quelles pourraient être les applications de cette découverte face au premier cancer masculin ? Doctissimo fait le point.
Le cancer de la prostate touche 71 000 Français chaque année, c'est le premier cancer masculin devant le cancer du poumon 1. Plus il est détecté tôt, mieux il est traité. Les options de traitements comprennent une simple surveillance, un traitement hormonal, depuis peu des traitements ciblés, la radiothérapie ou la chirurgie. Mais malgré les progrès, tant sur le plan thérapeutique que du dépistage, ce cancer entraîne toujours 10 000 décès par an. Face à ces chiffres, l'idée de pouvoir prévenir la survenue de ce cancer fait son chemin depuis plusieurs années. Une nouvelle étude semble confirmer la validité de cette thèse.
D'anciens médicaments efficaces en prévention ?
Certaines hormones sexuelles (les androgènes) pourraient jouer un rôle dans le développement de ce type de cancer. Plusieurs hormonothérapies agissent en les bloquant. L'idée serait de voir si cette action thérapeutique peut également être efficace en prévention 2.
Dans le prestigieux New England Journal of Medicine 3, une équipe américaine a évalué le dutastéride. Ce médicament, commercialisé sous le nom d' Avodart® par les laboratoires Glaxosmithkline, est déjà utilisé dans le traitement des adénomes de la prostate. Il inhibe la transformation de la testostérone en dihydrotestostérone, un androgène particulièrement actif au niveau de la prostate. Au total, 6 729 hommes âgés de 50 à 75 ans à risque de cancer de la prostate ( taux de PSA - marqueur du cancer - élevé mais absence de cancer, prouvée par une biopsie effectuée dans les 6 mois précédant le début de l'étude) ont été divisés en deux groupes. Le premier recevait 0,5 milligramme de dutastéride, l'autre moitié un placebo (comprimé inactif). Selon le principe du double aveugle, ni le médecin ni le patient ne savaient s'ils recevaient le médicament ou le placebo.
Après 4 ans de suivi, 659 du groupe sous dutastéride ont développé un cancer de la prostate (19,9 %), contre 858 dans le groupe placebo (25,1 %). Résultat : le médicament réduit le nombre de 23 % le risque de cancer, et même de 31,4 % pour les formes familiales. Les effets secondaires se résument à des baisses de libido (3,3 % contre 1,6 % dans le groupe placebo), des troubles de l'érection (respectivement 9 % contre 5,7 %). Cependantn le risque d'attaques cardiaques semble plus important dans le groupe sous dutastéride (0,7 % contre 0,4 %), bien que statistiquement cette différence ne soit pas significative.
Une hypothèse séduisante mais pour le moment inapplicable
Dans un éditorial accompagnant la publication de cette étude, le Pr. Patrick Walsh du James Buchanam Brady urological Institute tempère l'enthousiasme des chercheurs. Il rappelle les résultats de l'étude Prostate Cancer Prevention Trial (PCPT) 4, qui avait testé sur plus 18 000 hommes de plus de 55 ans le finastéride, un autre inhibiteur de la transformation de la testostérone en dihydrotestostérone. Au terme du suivi de 7 ans, les scientifiques avaient conclu à une réduction du risque de cancer de la prostate de 24,8 %. Mais il était apparu par la suite que le nombre de biopsies entre les deux groupes n'était pas équivalent, et après correction, aucune différence significative n'avait été observée entre les deux groupes. Une déception confirmée par une équipe finlandaise. Dans l'étude sur le dutastéride, le risque de tumeur potentiellement mortelle n'est pas non plus réduit... Selon le Pr. Patrick Walsh 5, "ni le finastéride, ni le dutastéride ne préviennent le cancer de la prostate mais ils réduisent juste temporairement les tumeurs qui ont peu de risque d'être mortelles, et ils ne réduisent pas le risque de biopsie positive chez des patients qui ont un PSA élevé (PSA qu'il faudra corriger si le patient prend ces traitements) ou un toucher rectal anormal". Des critiques analogues avaient été avancées en 2003 par le Pr. Peter Scardino 6, qui estimait que le seul critère pertinent en terme de prévention du cancer est la survie globale. En effet, pour les cancers de la prostate, le risque de décès dans les 15 ans suivant le diagnostic oscille entre 4 et 30 %, en fonction de l'âge et de la gravité de la tumeur. Ainsi, on meurt plus souvent avec un cancer de la prostate, qu'à cause d'un cancer de la prostate... Le Pr. Patrick Walsh avance un dernier argument : "Selon lui, l'utilisation de ces médicaments en prévention pourrait être risqué. Parce que les niveaux de PSA sont supprimés, les hommes pourraient avoir un sentiment injustifié de sécurité, et si un cancer de la prostate se développe, le diagnostic pourrait être retardé jusqu'à des stades avancés, qui seraient alors plus difficiles à traiter.
Conclusion : si l'hypothèse d'une prévention du cancer de la prostate est scientifiquement séduisante, aujourd'hui ces composés (finastéride et dutastéride) ne semblent pas constituer des agents de chimioprévention très pertinents. L'enjeu de la prise en charge du cancer de la prostate est aujourd'hui de bien le détecter et de savoir ensuite s'il est utile de le traiter.
1- Guide affection de longue durée. Tumeur maligne, affection maligne du tissu lymphatique ou hématopoïétique. Cancer de la prostate. Haute autorité de Santé - Institut national du cancer (Inca). Janvier 2012. 2 - D'autres équipes testent l'efficacité d'un traitement par antioxydants (sélénium, thé vert...) pour réduire les dommages génétiques de l'ADN à l'origine du cancer de la prostate. Phytomedicine. 2010 Jan;17(1):3-13. Review. ; BJU Int. 2010 Feb;105(4):566. 3 - N Engl J med 2010 ;362:1192-202 ( abstract disponible en ligne) 4 - N Engl J Med. 2003 Jul 17;349(3):215-24. ( abstract disponible en ligne) 5 - N Engl J med 2010 ;362:1237-1238 ( éditorial en ligne) 6 - N Engl J Med. 2003 Jul 17;349(3):297-9.