Douleur et cancer : état des lieux et perspectives
La Journée mondiale contre la douleur, le 20 octobre 2008, est consacrée cette année au thème "douleur et cancer". L'occasion pour les professionnels de santé de faire un état des lieux sur la prise en charge de la douleur cancéreuse et sur les perspectives d'avenir.
Les douleurs sont fréquemment associées à la maladie cancéreuse. La prise en charge des douleurs cancéreuses s'est améliorée mais reste encore insuffisante, notamment celle prenant en compte toutes les douleurs. Des innovations thérapeutiques sont annoncées mais les moyens financiers et humains risquent de manquer pour mieux prendre en charge les douleurs.
Douleur et cancer
La douleur fréquemment liée aux cancers est un problème qui touche une population très nombreuse. En France, il y a plus de 300 000 nouveaux cas de cancer chaque année et 700 000 patients sont traités annuellement pour cette maladie. Deux à 3 millions de personnes sont concernées si l'on compte les personnes en rémission. Le cancer est responsable de douleurs au cours de son évolution : douleurs liée au développement local, régional ou métastasique du cancer, induites par des traitements anti-tumoraux ou des actes à visée diagnostique. Il peut aussi être responsable de douleurs séquellaires (douleurs dues aux traitements agressifs contre le cancer), douleurs qui peuvent devenir chroniques. "Un tiers des malades en phase active du traitement et plus des 2/3 de ceux en phase avancée souffrent" indique Dr Louis Brasseur, anesthésiste au Centre René Huguenin, à Saint Cloud. Les patients ayant des métastases ont plus de risque de souffrir. Les douleurs fortes à très fortes sont plus fréquentes chez des malades ayant plusieurs types de douleur.
Les 4 types de douleur :
- Douleur par excès de nociception : douleur qui se produit lors d'une blessure, d'une lésion des tissus, d'un traumatisme, d'une inflammation, d'une infection ; - Douleur neuropathique : douleurs dues à une lésion des nerfs périphériques ou du système nerveux central ; - Douleur psychogène : douleur d'origine psychologique ; - Douleur idiopathique : douleur mal expliquée.
De plus, la douleur a des répercussions psychologiques qui sont aussi à prendre en compte. "On considère maintenant que la douleur peut avoir des répercussions sur la survie : les personnes dont la douleur est mieux traitée aurait une survie plus longue" note le Dr Brasseur.
La douleur liée au cancer mieux traitée
Une étude sur la prise en charge de la douleur dans 20 centres du cancer a permis de constater des améliorations entre 1991 et 2004. "En 1991, la douleur liée au cancer était sous-évaluée partout" explique le Dr Brasseur, un des auteurs de l'étude. "En 2004, la douleur est mieux évaluée, parfois même surévaluée dans certains établissements" ajoute-t-il. Le premier travail de 1991 montrait que 25 % des patients qui souffraient n'avaient aucun traitement. En 2004, tous les patients ont eu un traitement. "En outre, les douleurs légères n'étaient pas traitées en 1991, aujourd'hui elles le sont" annonce le Dr Brasseur. De 2004 à 2008, l'amélioration s'est renforcée. "Des pompes permettent aux patients de s'auto-administrer des antalgiques forts, on peut implanter certains médicaments au niveau de la moelle épinière ou du cerveau, on peut utiliser la radiothérapie pour combattre la douleur" indique le Dr Krakowski, oncologue médical, centre A. Vaudrin, à Vandoeuvre les Nancy. Mais "trop de malades souffrent encore" souligne le Dr Brasseur
Une prise en charge à améliorer
Malheureusement, la prise en charge est inégalitaire. Dans certains endroits en France, les malades ne bénéficient pas des traitements qu'ils seraient en droit d'attendre, par ignorance de ce qui peut être fait ou parce que cela paraît compliqué à mettre en place. Mais si le protocole OMS (échelle thérapeutique) est suivi à la lettre, 3/4 des malades sont soulagés.
Protocole OMS : échelle thérapeutique
A chaque stade (douleur qui s'intensifie) est associé un traitement Niveau 1 : antalgiques non opioïdes Niveau 2 : opioïdes faibles et intermédiaires Niveau 3 : opioïdes forts Niveau 4 : chirurgie de la douleur
Ensuite, les malades n'osent encore pas parler de leur douleur ou ne disent pas à leur médecin que la douleur n'est pas soulagée par un premier traitement. Les patients ne sont pas assez informés. "Trop d'idées fausses réduisent encore le discours de la prise en charge cancéreuse à la situation de fin de vie" souligne le Dr Thierry Delorme, consultation de la douleur, Institut Curie. Certains soignants négligent les douleurs, notamment douleurs séquellaires. "Un tiers des patients guéris souffrent pendant des années de douleurs séquellaires mais aucune étude n'a été faite sur ce sujet" indique ce médecin. Les accès paroxystiques de la douleur (pics de douleur) ne sont pas assez soulagés. "On s'intéresse encore trop à la douleur en général donc on donne des traitements pas forcément adaptés" constate le Dr Brasseur. "Or, les douleurs sont différentes selon le mécanisme" souligne le Dr Ivan Krakowski. Les douleurs neuropathiques par exemple ne sont pas sensibles à la morphine. "Parfois, les solutions contre la douleur ne sont pas médicamenteuses et peuvent être très simples : rééducation fonctionnelle, accompagnement social, psychologique" souligne cet oncologue. Mais les soins de support, nom donné à l'ensemble des soins et des soutiens nécessaires au malade conjointement aux traitements oncologiques "sont encore anecdotiques en France, contrairement aux Etats-Unis" déplore le Dr Louis Brasseur.
Des innovations thérapeutiques mais un manque de moyens
"Ces dernières années, on a vu se développer des modèles-animaux pour étudier la douleur : cela va aboutir à de nouveaux traitements, de nouvelles approches dans le futur" annonce le Dr Brasseur. De nouvelles formes galéniques pour les antalgiques visant à soulager au plus vite la douleur vont apparaître : des sprays (ils devraient arriver en France d'ici un an ou un an et demi), des patchs. Des micro-pompes sont à l'étude. Un nouvel antalgique, le Ziconotide intrathécal a vu le jour : il agit sur d'autres cibles de la douleur....
"La recherche contre la douleur est en plein bouillonnement" souligne le Dr Krakowski. Cependant, les structures douleur sont en danger. "Les possibilités de financement des structures douleur sont fragilisées avec le nouveau mode de tarification à l'activité" déplore le Dr Bruxelle, Président de la Société français d'étude et de traitement de la douleur (SFETD). De plus, il pense que "30% de leurs médecins vont partir à la retraite d'ici 8 ans, sans recrutement suffisant espéré". Un manque d'effectifs et de moyens qui mettrait en péril une recherche clinique de qualité.
L'évaluation et le traitement des douleurs du cancer sont mentionnées comme des objectifs importants à atteindre dans le Plan de lutte contre la douleur 2006-2010. En pratique, aura-t-on assez de moyens pour réaliser ces objectifs ?...
conférence de presse, « Douleur et cancer : état des lieux et perspectives », 8 octobre 2008, SFETD
1 - Pain prevalence and intensity between cancer patients : a 12 year interval survey, Louis Brasseur, Alain Beauchet, François Larue, Didier Bouhassira, Philippe Aegerter