Naturopathes suspendus sur Doctolib : quel est le problème ?
Épinglée par des internautes, la plateforme de prise de rendez-vous auprès de professionnels de santé rendait également accessibles des praticiens aux pratiques douteuses. Une polémique qui met le doigt sur un problème plus large d’encadrement des pratiques non médicamenteuses en France
Depuis le 19 août, la polémique enfle autour de Doctolib, la célèbre plateforme de prise de rendez-vous, bien connue des internautes. La raison ? Différents comptes Twitter y auraient décelé des rendez-vous possibles chez des naturopathes, des iridologues (qui prétendent diagnostiquer des maladies dans l’iris) ou encore des praticiens du décodage biologique, une pratique dans le viseur de la Miviludes. Or, le site s’affiche officiellement comme une plateforme de prise de rendez-vous auprès de “professionnels de santé”, une liste de professions dûment établie par Santé Publique France et la Haute Autorité de Santé qui n'inclut aucunement ces pratiques non réglementées. De quoi semer la confusion chez les patients et entretenir le flou entre les différentes pratiques et besoins médicaux.
Doctolib face à de graves accusations
Côté Doctolib, la plateforme a, tout d’abord, joué la carte de la neutralité : “La société évolue et, par exemple, certaines associations de patients promeuvent l’accès à des thérapies complémentaires. Nous considérons que ce n’est pas le rôle de Doctolib de trancher ces débats". Avant de se justifier face à de graves accusation dans une série de tweets : “97 % des praticiens utilisateurs de Doctolib sont référencés auprès du Ministère de la Santé” (...) et seuls 3 % de nos utilisateurs exercent une activité dans le domaine du bien-être ou du médico-social” de façon tout à fait légale.
Cela n'a pas été suffisant. Les internautes ayant fait le lien entre plusieurs praticiens accessibles, et leur proximité avec Thierry Casasnovas et Irène Grosjean, deux naturopathes accusés respectivement d’exercice illégal de la profession de médecin et d'abus de faiblesse pour l'un, et d'agressions sexuelles sur mineur pour la seconde. Le site a acté le mécontentement des internautes en suspendant rapidement la prise de rendez-vous chez 17 naturopathes concernés.
Médecine douce : un besoin d’encadrement trop longtemps éludé
Pour Grégory Ninot, professeur à l'Université de Montpellier et à l’Institut du Cancer de Montpellier et surtout auteur d’un livre sur le sujet, 100 médecines douces validées par la science, (Editions Belin, 2022), la question de la place des médecines alternatives, douces, complémentaires n’est pas le sujet ici : “Qu’on permette ou non ces “médecines douces”, les patients, eux, les utilisent et se dirigeront vers des solutions, poussés par des conseils d’amis, des associations de patients, de leurs recherches sur internet…On estime par exemple que 85 % des personnes recevant un diagnostic de cancer utilisent une pratique complémentaire, pour gérer leurs symptômes.”
En revanche, l’auteur dénonce un vrai problème de qualification et d’encadrement en France, qui entretient le flou quand on parle de santé. “Le fait que le droit français et européen ne qualifient pas les pratiques alternatives vérifiées scientifiquement laisse le champ libre au charlatanisme. Aujourd'hui, il est toujours très facile en France de monter une école, une formation, de créer des méthodes qui n’ont aucune prise scientifique. Non seulement, cela est dangereux, mais cela dessert également les approches non médicamenteuses validées, elles, par la science (car il y en a), qui peuvent en effet aider les patients “ évoque-t-il.
Une offre difficile à contrôler
Reste que Doctolib ne pourrait être qu’une goutte d’eau un peu plus visible dans l’océan des méthodes douteuses. Comme le détaille l’auteur, l’offre parallèle explose, que ce soit au coin bien-être de notre supermarché ou via une amie qui conseille une nouvelle approche. “La Haute Autorité de santé réclame une classification depuis 2011 des médecines non médicamenteuses, afin de détailler lisiblement les données scientifiques de chaque méthode, les résultats, les protocoles etc. Ce référentiel n’existe pas, et c’est un manque.” En médecine douce, l’enjeu est là : crédibiliser les professionnels qui travaillent bien, s’engagent dans des règles éthiques, sur la responsabilité des effets secondaires, qui sont capables d’apporter des preuves.
Cette polémique peut être une première étape vers une offre plus cadrée : ce soir, l'Ordre des Médecins appelle Doctolib, à "renforcer ses règles éthiques pour s'inscrire sur sa plateforme".