Levothyrox : l'information des patients a été largement insuffisante
Suite à la mise sur le marché de la nouvelle formule du Levothyrox fin mars 2017, de nombreux patients se sont plaints d'effets secondaires importants. Afin d'évaluer la perception des utilisateurs de ce médicament prescrit à 3 millions de Français, nous avons, via un questionnaire en ligne, interrogé plus de 1500 d'entre eux sur leur expérience. Bien que ne pouvant prétendre à représenter tous les patients sous Levothyrox, les résultats témoignent de l'importance de certains effets secondaires et d'un incroyable manque d'informations. Découvrez ces résultats.
Mis en ligne du 25 août au 1er septembre, 1632 personnes sous Levothyrox ® ont répondu à notre enquête. Ce traitement était motivé par une hypothyroïdie (86 % des cas) ou un cancer de la thyroïde (14 %). La très grande majorité était des femmes (94 %). On sait que les prescriptions de ce médicament sont principalement destinées à des femmes. Parmi les répondants, 12% se déclaraient atteints d’une maladie cardiovasculaire (insuffisance cardiaque ou coronarienne et/ou des troubles du rythme).
Pas ou peu d’informations avant le changement de formule
Les deux tiers des répondants (67 %) n’ont reçu aucune information concernant un changement de leur traitement. Parmi ceux qui ont eu "la chance d’être avertis", 78 % l’ont été par leur pharmacien, 8 % par leur médecin généraliste, 6 % par leur endocrinologue et 8 % par un autre professionnel de santé. Concrètement, les principaux prescripteurs sont les médecins généralistes. Nos résultats laissent à penser que tous n'ont pas transmis l'information. Confrontés à des boîtes différentes, les patients ont plus souvent reçu ou demandé des conseils à leurs pharmaciens.
Mais de quelle information parle-t-on ? Dans près d’un tiers des patients ayant reçu une information (30 %), les précisions se limitaient au changement de couleur des boîtes. Le changement de formule du médicament n’a été communiqué qu’à 44 % d'entre eux. Enfin, seuls 26 % ont été informés de possibles conséquences sur leur "équilibre thyroïdien". Et alors que les médecins étaient appelés à prêter une attention particulière aux patients plus à risque (atteints de maladies cardiovasculaires, de cancers de la thyroïde, patients dont l’équilibre thyroïdien a été difficile à atteindre, seniors…), les proportions liés à la qualité de l'information restent sensiblement les mêmes1.
Comme en témoignent les nombreux messages sur les forums et les réseaux sociaux, l’information des patients a été insuffisante pour ne pas dire catastrophique. Une situation reconnue à demi-mots par la ministre de la Santé qui parle aujourd’hui d’une "crise liée à un défaut d’informations et d’accompagnement" et va lancer une mission "pour mieux informer les patients sur les médicaments".
On peut déjà regretter que des solutions simples n’aient pas été mises en place comme l’inscription sur les boîtes de la mention "Nouvelle formule", une mise à jour des informations au niveau de la notice, la remise d’un document d’informations aux patients via les professionnels de santé et les associations…
Une majorité a souffert d’effets secondaires
90% des participants à notre enquête rapportent des effets secondaires avec la nouvelle formule du Levothyrox (sensiblement les mêmes proportions dans toutes les populations sauf 95 % chez ceux qui souffraient d’une maladie cardiovasculaire ou avaient déjà des effets secondaires avec l’ancienne formule). Ces effets ne sont pas liés à un changement des conditions de prise puisque 90% des personnes interrogées n’ont rien changé.
Même si notre échantillon ne peut prétendre à représenter la totalité des patients sous Levothyrox ®, cette proportion (au-delà du nombre brut 1467 personnes) témoigne d’un réel problème.
Les effets secondaires les plus fréquents2 étaient une fatigue intense (83%), des crampes (60%), des maux de tête (60%), mais aussi des vertiges (53%), une prise de poids (49%), une perte de cheveux (41%), des troubles du rythme cardiaque (37%), des nausées (31%)… et même des idées suicidaires (13%). Les effets secondaires ne sont pas forcément apparus rapidement : 51 % après un mois de prise, 34 % après deux semaines et 15 % dès la première semaine.
Faute d’informations, peu de patients ont osé "se plaindre"
Mais comme le souligne "La Coupe d’hygie" dans son très bon article "Martine et son Levothyrox", la plupart de ces nouveaux effets ne sont pas sur la notice, qui n’évoque que la possibilité d’aggravation cardiaque et huit signes d’une hyperthyroïdie (palpitations, insomnie, excitabilité, tremblements, élévation de température, sueurs, amaigrissement rapide, diarrhée). Des signes qui doivent amener à consulter son médecin.
Mais d’autres symptômes (chute de cheveux, prise de poids, constipation, crampes…) peuvent aussi témoigner d’un dérèglement de la thyroïde et cette information ne figure pas dans la notice. Aucun document supplémentaire n’a été donné au patient par son pharmacien ou son médecin.
Face à cette absence d’informations, une grande proportion de patients (44 %) n’a même pas rapporté ces effets secondaires à un professionnel de santé. Pour les autres, 36 % l’ont fait auprès de leur médecin généraliste (principaux prescripteurs de Levothyrox ®), 9 % au pharmacien, 7 % à l’endocrinologue, 4 % à un autre professionnel de santé.
Des effets secondaires pas toujours pris au sérieux
Une fois les effets secondaires rapportés à leur médecin, les patients ont-ils été tirés d’affaire ? Pas vraiment pour notre échantillon puisque leurs plaintes n'ont fait l’objet d’aucune suite dans près d’un tiers des cas (31 %), d’aucune suite en rapport avec la thyroïde (7 %)… Les forums ou témoignages téléphoniques en ce sens sont nombreux : "C’est de l’hystérie médiatique Madame. Vos symptômes n’ont rien à voir avec votre traitement", "Le médicament est maintenant de meilleure qualité, ça ne peut pas venir de ça, voyons…"…
Heureusement, un tiers des personnes interrogées (33%) ont bénéficié d’un dosage de TSH (une hormone qui permet d'évaluer la réponse au traitement) et un peu moins d’un tiers ont bénéficié de ce dosage et d’un changement/adaptation de leur prescription (29%).
Les proportions restaient quasi-identiques pour les patients à risque (plus de 65 ans, atteints d’une maladie cardiovasculaire, cancer de la thyroïde…) et ne dépendent pas non plus du lieu d’habitation (zone rurale ou grande ville), ni du médecin consulté (généraliste ou endocrinologue).
Une information suffisante des professionnels de santé ?
En mars dernier, une lettre d’information a été envoyée par courrier ou courriels aux professionnels de santé. La surprise de plusieurs médecins sur les réseaux sociaux qui disent ne pas avoir été informés témoigne d’un problème de communication : Ces lettres ont-elles été reçues ? Ont-elles été lues ou font-elles systématiquement partie des "choses à traiter plus tard" dans l’agenda trop rempli des médecins ? Aucun moyen de le savoir…
Lorsqu’elles ont été lues, le message appelait-il les médecins à une extrême vigilance ? Pas vraiment, la lettre rappelle que la formule a été changée pour assurer une meilleure stabilité en substance active.
- Aux médecins, on précise que "les modalités de prise et de suivi sont inchangées hormis pour les patients à risque pour qui un suivi spécifique et un contrôle de l’équilibre thérapeutique est recommandé".
- Aux pharmaciens, il est recommandé "d’informer les patients du changement de couleur des boites et des blisters de la plupart des dosages et de l’importance de terminer leur stock de l’ancienne formule AVANT de passer à la nouvelle formule, pour ne plus changer ensuite".
En résumé, les médicaments sont plus stables, la couleur des boîtes du médicament produit par le laboratoire Merck change mais c’est pour le mieux et en dehors de certains groupes à risque, pas de suivi particulier à mettre en place. Un quasi copier-coller de la lettre envoyée en 2010 à ces mêmes professionnels de santé lors de l’introduction des génériques du Levothyrox ® sur le marché.
Une gestion "étonnante" de la transition ancienne-nouvelle formule
Rappelons que le Levothyrox est un médicament dit "à marge thérapeutique étroite", ce qui veut dire que d’infimes changements de dose peuvent induire de nombreux effets secondaires pour les patients. Les études de bioéquivalence (dont les résultats sont difficiles à trouver) conduites sur des patients en bonne santé ont été jugées suffisantes pour s’assurer d’un changement de formule sans problème.
Une vision "optimiste" quand on sait que la mise sur le marché des génériques de la lévothyroxine en 2010 avait donné lieu à de nombreux effets secondaires et des messages explicites dans les notices ("Si vous changez de marque pendant votre traitement par la lévothyroxine, princeps ou générique, votre médecin pourra vous demander d’effectuer certaines analyses biologiques supplémentaires (dosage de la TSH) : en particulier si vous avez un cancer thyroïdien, si vous êtes atteint de troubles cardiovasculaires, si vous êtes enceinte, si vous êtes âgé ou si le patient est une enfant"). Mais aucun message de ce type avec la nouvelle formule, alors qu’on est dans le même cas : deux médicaments dont la substance active n’a pas changée et dont la bioéquivalence a été démontrée par rapport à l’ancienne formule (à la différence que le patient n'a pas vraiment eu le choix...).
Le 6 septembre, la ministre de la Santé reconnaît un manque d’informations et d’accompagnement des patients. Au-delà de ce problème réel, on peut légitimement s’interroger la gestion de ce dossier et plus particulièrement sur :
- la qualité de l’information destinée aux professionnels de santé et sur le mode de communication utilisé;
- la réactivité de notre système de pharmacovigilance (les premiers résultats de l'enquête sont attendus en octobre pour une nouvelle formule commercialisée à la fin du mois de mars);
- la gestion préalable d’un changement de formule pour un médicament que l'on savait très sensible et prescrit à des millions de personnes.