Vitamine D : est-il vraiment utile de supplémenter les enfants après 1 an ?
Initiée dans les années 60, la supplémentation en vitamine D avant 1 an a permis de lutter contre le rachitisme. Mais au-delà de cet âge et pour la population générale, les recommandations sont parfois contradictoires. Le collège national des généralistes enseignants a rendu un avis étonnant.
Essentielle au bon fonctionnement de nos os, nos muscles et de notre système immunitaire, la vitamine D est importante chez l’enfant. Et cela, dès la naissance pour prévenir le risque de rachitisme. Un apport en vitamine D est donc généralement préconisé pour soutenir les besoins des enfants et leur bonne santé globale.
Une supplémentation initiée pour lutter contre le rachitisme
En France, l’instauration de la supplémentation en vitamine D dans les années 60 et la commercialisation de laits artificiels enrichis en vitamine D depuis 1992 ont été suivis d’une réduction drastique de l’incidence du rachitisme carentiel. Désormais, cette maladie est quasi exceptionnelle, et n’affecte que des enfants allaités qui n’ont pas reçu de supplémentation vitaminique avant l’âge de 5 ans et dans une moindre mesure ceux ayant des facteurs de risque de carence (obésité, peau noire, absence d’exposition au soleil, diminution de l’apport).
Selon l'association française de pédiatrie ambulatoire, les nouvelles recommandations de 2022 ont permis de "lisser" les recommandations avec désormais un apport unique préconisé de 400 à 800 UI par jour pour les 0-18 ans, sans distinction d'âge, sauf cas particuliers (Obésité, peau noire, absence d’exposition solaire, régime végan pou rlesquels les apports recommandés passent à 800 à 1600 UI par jour de vitamine D2 ou D3). Les doses de 200 000 UI sont à éviter.
Mais le collège nationale des généralistes enseignants a voulu savoir si, au-delà de la première année pour prévenir le rachitisme, la supplémentation en vitamine D était toujours pertinente. Face à la multitude d’avis sur le sujet, les médecins ont épluché la littérature médicale pour rendre leur avis.
La supplémentation avant 1 an doit faire l’objet d’une prescription médicale
Les experts précisent que chez les nourrissons : "une supplémentation de 400 UI/j était suffisante pour atteindre des concentrations de vitamine D sérique considérées comme "normales". Des posologies supérieures n’ont pas amélioré la densité osseuse, mais une augmentation du risque d’hypercalcémie a pu être observée. En l’absence de facteurs de risque de rachitisme, le niveau de preuve était insuffisant pour conclure à une efficacité clinique".
Les experts ajoutent que des erreurs de surdosage avec des situations parfois graves (liées à l’hypercalcémie ou l’hyperphosphatémie) ont été décrites et favorisées par l’accès sans ordonnance à des solutions avec une concentration élevée de vitamine D. Une campagne de l’Anses avait rappelé que ces supplémentations restent des médicaments doivent être prescrites par des médecins ou sage-femmes.
Au-delà d’un an, l’utilité d’une supplémentation moins évidente
Au-delà de cet âge et de la prévention du rachitisme, les médecins avouent que la littérature scientifique dispose de peu de preuves sur l’utilité d’une supplémentation. Ils écrivent ainsi :
- "Chez les enfants âgés de 1 à 5 ans, aucun essai comparatif randomisé (ECR) de qualité méthodologique suffisante évaluant le risque de rachitisme ou la fragilité osseuse n’a été identifié.
- Chez ceux âgés de 5 à 13 ans, les essais n’ont pas montré de résultats probants sur la réduction du risque de rachitisme. Un ECR en double insu mené chez 8 851 enfants âgés de 6 à 13 ans, n’a pas montré de différence entre le groupe supplémenté en vitamine D pendant 3 ans et le groupe témoin, ni sur le risque fracturaire, ni sur les effets indésirables.
- Chez les adolescents entre la puberté et jusqu’à l’âge de 18 ans, la supplémentation augmentait les taux sériques de vitamine D, avec des résultats discordants sur les bénéfices en termes de densité osseuse".
Au-delà de l’efficacité extra-osseuse (croissance, développement pubertaire, infections ORL…), l’influence de la vitamine D n’a pas été prouvée par des études de qualité. Les données recueillies par ces médecins reconnaissent tout au plus une légère réduction de la sévérité de l’asthme dans l’enfance, en cas de taux sérique de vitamine D initial < 10 ng/L et avec un faible niveau de preuve.
En conclusion, les auteurs déclarent ainsi qu’il "est raisonnable de maintenir une supplémentation systématique de 400 à 800 UI/jour chez les nourrissons en particulier avant l’âge de 1 an, en cas d’allaitement maternel, ou en présence de facteurs de risque de carence" mais que "pour les autres situations cliniques, les données actuelles ne permettent pas de conclure à une balance bénéfice/risque favorable de la supplémentation en vitamine D".
Et pourtant, une population française largement carencée...
Cet avis pourrait sembler à contre-courant des recommandations générales et du constat d'une carence généralisé en vitamine D des Français. Une étude de l'Inserm avait ainsi montré que 58 % de la population avaient une concentration insuffisante en vitamine D (moins de 20 ng/ml) et environ 15 % une véritable carence (<10 ng/ml).
Face à ces mêmes chiffres, le Haut Conseil de la Santé publique recommandait en juin 2022 :
- d’assurer une exposition solaire modérée mais suffisante ;
- de consommer des aliments riches en vitamine D en cohérence avec les recommandations nutritionnelles (essentiellement les poissons gras à hauteur toutefois d’une portion par semaine, huiles de foie de morue, les œufs, fromages et produits laitiers (2 par jour)) ;
- d’éviter l’auto-prescription de compléments alimentaires riches en vitamine D.
En conclusion, en vous exposant modérément au soleil et en adoptant une alimentation variée, les risques de carences sont limités. La supplémentation de vitamine D peut être envisagée par votre médecin en cas de carence avérée.
Les précisions du Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste et directeur médical de Doctissimo
La vitamine D n'est pas uniquement impliquée dans le métabolisme osseux mais participe à la réponse immunitaire et inflammatoire, régule la prolifération et la différenciation cellulaires, mais aussi la sécrétion d’hormones comme l'insuline et la rénine. En France, nos modes de vie alimentaires et la faible exposition au soleil ne permettent souvent pas la couverture du besoin nutritionnel en vitamine D occasionnant une déficience ou une carence en vitamine D, fréquentes et sous-diagnostiquées. Hormis, quelques surdosages accidentels par mésusage de compléments alimentaires, les risques à une supplémentation systématique semblent limités par rapport aux bénéfices.