Interdiction de vente de tabac aux mineurs : une loi applicable ?
Les buralistes vendant du tabac à un mineur s'exposent désormais au paiement d'une amende, selon un article de la loi HPST votée l'été dernier. Mais vont-ils pouvoir respecter cette interdiction ? Les mineurs vont-ils arrêter de fumer ou commencer plus difficilement ?
La loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), votée en juillet dernier, comportait plusieurs articles concernant l'alcool (open bars, interdiction de vente aux mineurs, diminution de la vente en stations-services, autorisation de la publicité sur internet) et le tabac : interdiction des cigarettes aromatisées et de la vente aux mineurs. Le décret concernant cette dernière mesure a été publié discrètement fin mai, comme l'a relevé le journal Le Parisien le 22 juillet.
Auparavant, il était interdit d'acheter du tabac avant l'âge de 16 ans. Désormais les buralistes ne pourront vendre de cigarettes, tabac à rouler, filtres ou feuilles aux mineurs, sous peine d'une amende “de la quatrième classe“ (135 ). Mais comment appliquer cette mesure ? Les commerçants vont-ils devoir exiger une carte d'identité à chaque achat de tabac, sachant qu'aujourd'hui il est parfois difficile de distinguer visuellement un garçon ou une fille de 15 ans d'un ou une autre de 20 ans ?
Cette question pratique peut être délicate à régler, en particulier lorsque les jeunes viennent en nombre dans un bar-tabac. De plus, elle pourra être contournée, en confiant l'achat à un adulte. En outre, les vendeurs à la sauvette de tabac se multiplient depuis quelques années, en raison des hausses de prix successives. Il est déjà possible, par exemple, d'acheter des paquets de cigarettes à 1 (cigarettes importées, par exemple du Maghreb) au lieu de 5 autour des lycées ou dans certaines stations de métro parisien...
Cependant, malgré ces possibles dérives, les chiffres des années précédentes incitent plutôt à l'optimisme : selon les données de la dernière enquête Escapad (enquête sur la santé et les consommations lors de l'appel de préparation à la Défense), la consommation quotidienne de tabac chez les jeunes de 17 ans a connu une baisse importante ces dernières années, passant de 41,1 % en 2000 à 28,9 % en 2008, et ce malgré l'augmentation du trafic de cigarettes en parallèle des hausses de prix.
Donc certes l'interdiction de vente aux mineurs ne sera évidemment pas parfaitement respectée, ne serait-ce que parce de nombreux ados sont déjà dépendants de la nicotine (qui fait partie des substances les plus addictives, avec l'héroïne) et qu'ils ne pourront s'arrêter du jour au lendemain. Mais l'application de cette loi dans les années qui viennent pourrait aider à juguler le tabagisme des jeunes, d'autant plus que la ministre de la santé n'a pas exclu de nouvelles hausses tarifaires qui diminueront peut-être encore l'attrait du tabac. A moins que ne se produise le phénomène inverse, comme lors de la prohibition américaine de l'alcool dans les années 30 ou celle concernant le cannabis depuis 40 ans, prohibitions qui ont vu les interdits et phénomènes mafieux amplifier la consommation. Réponse lors de la prochaine enquête Escapad ?
Jean-Philippe Rivière
Sources :
- “Décret n°2010-545 du 25 mai 2010 relatif aux sanctions prévues pour la vente et l'offre de produits du tabac“, Journal officiel, 27 mai 2010, accessible en ligne - “Cette fois, vendre du tabac aux mineurs est vraiment interdit“, Le Parisien, 23 juillet 2010, accessible en ligne - “Usages de drogues à 17 ans dans 21 régions françaises : résultats ESCAPAD 2008“, Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 12 janvier 2009, accessible en ligne (carte permettant d'accéder à 21 fiches régionales).
Photo : René Le Pape, président de la confédération nationale des débitants de tabac , dans son bar-tabac “le Vatican bar“ à Douarnenez, © MAISONNEUVE/SIPA