"Secourisme à l'envers", "exception d'euthanasie"... Le projet de loi sur la fin de vie fait polémique
Dans un communiqué daté de 14 décembre, 18 sociétés, syndicats ou associations de gérontologie et de soins palliatifs s’insurgent contre le chemin que semble prendre la question de la fin de vie en France. Les détails émanant d’un nouveau rapport leur semblent particulièrement dangereux.
"Ce 13 décembre, nous avons découvert avec consternation le texte présenté au Président de la République, il y a quelques semaines, relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Le contenu indigent de ce document suscite l’inquiétude et la colère des professionnels de santé". Ce 14 décembre, 18 associations et syndicats de professionnels de santé, des infirmiers, des gérontologues, des médecins en soins palliatifs, ont uni leurs voix pour dénoncer le dernier rapport remis au gouvernement sur “une nouvelle stratégie de prise en charge des malades en fin de vie”. Ces soignants craignent en premier lieu une dérive de cette "aide de fin de vie" vers une une aide à mourir trop complaisante et qu’ils refusent.
Que dit ce dernier rapport ?
C’est un article du Figaro qui a mis le feu aux poudres le 8 décembre dernier, en révélant le rapport que le professeur de santé publique et cancérologue Franck Chauvin a remis à Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé. Celui-ci garantit d’ici dix ans une prise en charge appropriée pour toute personne en fin de vie et son entourage, comme le souhaite Emmanuel Macron. Le rapport préconise ainsi de renommer les soins palliatifs pour les transformer en "soins d’accompagnement" incluant ainsi tout ce qui concerne la fin de vie, que ce soit des soins à visée curative ou non.
Le plan est décliné autour de quinze mesures, parmi lesquelles la création d'équipes mobiles de soins d'accompagnement, composées d'un médecin, d'une infirmière et d'un psychologue, la création de maisons d’accompagnement, ou encore d’une filière universitaire pour développer la culture palliative. Le texte présente également sans le nommer, le suicide assisté par un tiers. En d’autres termes, le patient s'administrerait lui-même la substance létale, mais un soignant ou même un proche pourrait l'aider s'il est dans l'incapacité de le faire.
"Secourisme à l’envers" et dérives sont redoutés
Pour les professionnels signataires, c’en est trop, et cette version provisoire du projet de loi “relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie” pose problème à plusieurs titres.
“Dans ce texte, l’euthanasie et le suicide assisté intègrent directement le continuum de soins,(...) à rebours de notre engagement qui nous enseigne que donner la mort n’est pas un soin. Les rédacteurs vont jusqu’à affirmer qu’il convient de mettre en place un ‘secourisme à l’envers’, terme qui à lui seul dépeint à quel point les rédacteurs de ces mesures sont ‘hors sol’” déplorent-ils.
Le simple fait de remplacer désormais le terme soins palliatifs (la prise en charge de la douleur et les soins oncologiques de support) par les “soins d’accompagnement” prend également une dimension inquiétante, selon eux : "Est-ce le moyen d’insérer l’euthanasie et le suicide assisté dans le panel des soins ?".
Ils estiment ainsi que la protection des personnes en fin de vie est en danger. En ouvrant le projet à la possibilité d’avoir recours à l’euthanasie pratiquée par un tiers (qui peut être un "proche"), cette nouvelle stratégie pourrait selon eux induire certaines dérives ou pression sur la personne malade. "Qu’en sera-t-il des personnes vulnérables notamment âgées, qui déjà si souvent craignent d’être un poids pour leur entourage ?" s'interrogent les signataires.
Enfin, les infirmiers seraient impliqués de manière très forte dans la procédure, "à rebours d’une volonté exprimée, à plusieurs reprises, de voir respecté le sens de leur mission".
La loi sur la fin de vie repoussée à 2025
Pour les professionnels, ce rapport provisoire ferait donc fausse route. "L’urgence est de se concentrer sur le développement des soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et les soins oncologiques de support" répètent-ils. Un point de vue qui n’est pas partagé par tous, tant le débat divise.
Quoi qu’il en soit, les conclusions devront encore attendre. La loi sur la fin de vie et le suicide assisté ne sera pas effective avant l’année 2025. Le texte ne devrait être présenté qu’en février 2024 après un arbitrage final par le président de la République et, selon la ministre déléguée Agnès Firmin-Le Bodo, "il nécessitera au moins 18 mois de débats au Parlement".
🔴 L’aide active à mourir effective en France en 2024 ? ➡️ “La réponse est non”, affirme la ministre en charge du dossier, Agnès Firmin Le Bodo. “Le projet de loi sera présenté en février. Il faudra au moins 18 mois de débat” au Parlement. #8h30franceinfo pic.twitter.com/XmPRX0492C
— franceinfo (@franceinfo) December 13, 2023
Un délai insupportable pour l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui déclare : "Au mieux, la France n’aura pas de loi avant 2026 ! Sachant que dans les pays du monde qui ont légalisé l’aide active à mourir près de 3% des décès sont liés à ce soin de fin de vie, ce sont, en France (600 000 décès annuels) quelque 36 000 de nos proches, de nos amis, qui décèderont dans des conditions qu’ils n’ont pas souhaitées, probablement après une agonie insupportable".