L'Assemblée nationale a voté l'interdiction des certificats de virginité qui attestent que les jeunes femmes possèdent un "hymen sans échancrure ni rupture". Mais la présence ou l’absence de ce petit repli de la muqueuse vaginale n’a rien à voir avec la virginité. Et le premier rapport sexuel n’implique pas forcément la rupture de l’hymen. Mise au point avec Isabelle Lesquer, à l’origine du projet Hymen redéfinitions, et le docteur Odile Bagot, gynécologue.
En janvier 2020, la définition du mot “hymen” dans le dictionnaire de l’Académie française de médecine a changé. Elle est passée d’une “membrane formée, chez la femme vierge, par un repli de la muqueuse vaginale inséré au bord de l’orifice vaginal”, à la définition suivante :
"D’anatomie variable d’une femme à l’autre, l’hymen est un repli de la muqueuse vaginale situé au bord de l’orifice vaginal. Sa face supérieure est vaginale. Sa face inférieure, vulvaire, est séparée latéralement des petites lèvres de la vulve par le sillon nympho-hyménéal. A partir de la puberté, l’hymen peut être suffisamment souple et élastique pour permettre des rapports sexuels complets sans déterminer de lésion traumatique. Son intégrité n’est donc pas synonyme de virginité. L’accouchement par voie basse provoque des déchirures multiples à l'origine de tubercules irréguliers, les caroncules de l’hymen (anc. caroncules myrtiformes)".
Pas de lien entre l’hymen et l’activité sexuelle vaginale
Ces modifications et précisions, on les doit à une pétition lancée par Hymen redéfinitions, un collectif qui a pour but de “déconstruire cette contre-vérité associant hymen et virginité, et de faire modifier les définitions erronées présentes dans les dictionnaires”. Pour deux raisons : “démontrer que n’importe qui constatant des informations erronées peut faire changer les choses, et parce que cette vision erronée de l’hymen a encore un impact sur les vies de toutes et tous”, explique Isabelle Lesquer, à l’initiative du projet.
L’entreprise est loin d’être simple, quand on se rend compte à quel point cette idée est en effet ancrée dans les mentalités. Si l’hymen n’a aucun rôle physiologique, il a néanmoins une lourde symbolique culturelle et religieuse : sa présence signifierait que la femme est vierge, autrement dit qu’elle n’a jamais eu de relation sexuelle. Des certificats de virginité sont même rédigés par certains médecins pour attester que les femmes possèdent un "hymen sans échancrure ni rupture", chose que le gouvernement veut interdire en les pénalisant. Or, "il n'y a aucun lien entre la présence ou l'absence d'hymen et l'activité sexuelle vaginale d'une jeune fille", affirme le collectif, qui rappelle par ailleurs que "l'hymen peut être encore présent chez des enfants ayant subi des agressions sexuelles avérées ou chez des femmes enceintes"1.
Il est néanmoins vrai qu’une modification de l’hymen peut survenir "au moment de la défloration", explique le docteur Odile Bagot, gynécologue, c’est-à-dire de la pénétration vaginale. En revanche, impossible de rompre l’hymen en faisant le grand écart, après une chute à califourchon sur la barre d’un vélo, en introduisant un tampon ou un doigt dans le vagin : "Tout cela, ce sont des fantasmes", affirme la gynécologue.
L’hymen "ne se déchire pas vraiment, il s’élargit simplement"
Pour Isabelle Lesquer, l’utilisation du terme “rupture” plutôt que “déchirure” a d’ailleurs son importance, cette dernière impliquant "l'idée d'une blessure, de traumatisme". On pourrait même parler de l’élargissement de l’hymen, puisque comme l’explique le Center for Young Women’s Health de Boston, "l’ouverture de l’hymen devient souvent plus large avec l’âge. Les tampons peuvent y être insérés sans changer son aspect. Les rapports sexuels peuvent élargir l’hymen ou causer une minuscule déchirure ou changer son aspect - c’est ce que l’on appelle parfois la ‘déchirure’ de l’hymen, mais il ne se déchire pas vraiment, il s’élargit simplement"2.
Une étude américaine parue en 20193 explique qu’à la puberté, l’hymen s’épaissit et gagne en élasticité. D’autres changements de son aspect peuvent également survenir avec les variations hormonales pendant la grossesse ou la ménopause par exemple. “Chez les femmes pubères ou au début de leur vie sexuelle, l’hymen peut s’élargir, permettant une pénétration vaginale avec des lésions minimes ou inexistantes, écrivent les auteurs. Seule une faible proportion de ces femmes présenteront des changements au niveau de l’hymen indicatifs d’un traumatisme par pénétration. Par exemple, dans une petite étude sur 36 adolescentes enceintes [ayant subi des abus sexuels, NDLR], les médecins n’ont pu identifier clairement une pénétration que dans deux cas.” Rappelons que les tests de virginité, consistant à “inspecter l’hymen afin de voir s’il est déchiré ou d’évaluer son degré d’ouverture, et (ou) à introduire des doigts dans le vagin”, sont désapprouvés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) car médicalement inutiles et traumatisants4.
"La vision de la première fois, pour les hommes comme pour les femmes, est vraiment héritée du rapport à l’hymen, et ce même si on ne met pas le mot ‘hymen’ dessus, explique Isabelle Lesquer : l’homme va faire mal et la femme va avoir mal car il va falloir transpercer une membrane. Or c’est le stress et l’absence de lubrification qui font la douleur".
Des propos que confirme le Dr Bagot : "Au premier rapport lors de la défloration, l’hymen ne saigne pas systématiquement. D’après certaines enquêtes, c’est à peu près une fois sur deux. La défloration n’est en soi pas douloureuse dans un contexte érotique où l’excitation va largement prendre le pas sur la douleur".
Mythe de la virginité : la sexualité, ce n’est pas que la pénétration !
Autre point problématique du mythe de l’hymen et de la virginité : réduire la sexualité à la pénétration vaginale. "J’ai vu des couples qui disaient vouloir rester vierges jusqu’au mariage mais qui ont fait absolument toutes les pratiques sexuelles sauf la pénétration vaginale ! Je n’appelle pas franchement ça la virginité. Et le problème c’est que pour préserver ce misérable hymen, beaucoup s’adonnent à des pénétrations anales. Ce n’est pas forcément la meilleure manière de commencer sa sexualité quand on est une jeune fille…", se désole la gynécologue.
Pour Isabelle Lesquer aussi, le concept de virginité pose question : "On a reçu des témoignages et notamment celui d’une femme qui avait eu son premier rapport sexuel avec une femme et elle pensait qu’elle était toujours vierge, donc qu’est-ce que la virginité ? Pour envisager un rapport sexuel comme un premier rapport, il faut forcément que le pénis soit passé par là".
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“Les conséquences de cette croyance sont désastreuses”
Une hétéronormativité propre à une société patriarcale que le collectif dénonce dans sa pétition : "Notre société patriarcale dote la virginité vaginale d'une haute valeur morale. Faire usage de l'hymen comme marqueur de cette virginité est un moyen de contrôle des femmes, de leur corps, et notamment de leur utérus. Les conséquences de cette croyance sont désastreuses et nous concernent tou(te)s : culte de la virginité, recours à l’hyménoplastie, vision stéréotypée de la première fois où la femme souffre et où l'homme violente, renforcement d’une inégalité de genre par un clivage passif/actif, primat de la pénétration vaginale dans les rapports hétérosexuels, rapport difficile de la femme à son propre organe sexuel…”
Sur ce dernier point, Isabelle Lesquer prend l’exemple de la masturbation féminine : "Un peu plus de 50% des femmes hétérosexuelles se masturbent régulièrement contre 92% des femmes homosexuelles5, donc le rapport au patriarcat est évident. Si on pense que ce qui va faire notre sexualité c’est le rapport à l’homme, on a aucun intérêt à aller voir par nous-même. Chez les femmes, il n’y a aucune culture de la masturbation contrairement aux hommes. Nous n’avons absolument pas été incitées à nous connaître nous-mêmes".
Après l’Académie de médecine, le collectif Hymen redéfinitions attend les réponses du Larousse et du Petit Robert pour la modification du mot “hymen” dans leurs dictionnaires. “Ils ont accusé réception de notre demande et nous ont dit qu’ils se sont penchés sur la question. Les éditions 2021 des dictionnaires vont bientôt sortir, donc nous allons vite savoir ce qu’il en est”, conclut Isabelle Lesquer, pleine d’espoir.