Le cancer du poumon a un pronostic sombre car les tumeurs sont détectées à un stade tardif. Face à ce problème, un dépistage ciblé sur des groupes à risque (gros fumeurs principalement) est recommandé Outre-Atlantique. Interrogée dans le cadre du 3e Plan cancer sur la pertinence d’un dépistage du cancer du poumon, la Haute Autorité de Santé a conclu que "les conditions ne sont actuellement pas réunies pour que ce dépistage soit possible et utile".
Le cancer du poumon parmi les plus meurtriers
On compte chaque année 45 200 nouveaux cas de cancers du poumon en France. C’est le plus meurtrier chez l'homme (21 000 décès) et le 2ème chez la femme (9 500 décès) après le cancer du sein1. Cinq ans après le diagnostic de la maladie, moins d'un malade sur six est encore en vie. Le principal facteur de risque de cette maladie est le tabagisme. Malgré les nombreuses campagnes de prévention, un adulte sur trois déclarait fumer quotidiennement en 2014.
Face aux limites de la prévention et des traitements pour les formes avancées, l’intérêt d’un dépistage apparaît pertinent à plus d’un titre, car le pronostic du cancer du poumon est directement lié à la précocité du diagnostic. Si le taux de survie à 5 ans est de 80-85 % pour une tumeur de moins de 15 mm, il chute à 10 à 15 % pour une tumeur plus grosse. Mais les symptômes cliniques de cette tumeur sont trop tardifs2, et la sensibilité des radiographies trop faible. "Les premiers symptômes du cancer du poumon (toux, crachats, amaigrissement, douleur thoracique...) apparaissent alors que la tumeur est déjà à un stade avancé 2. Les radiographies pulmonaires détectent également des tumeurs pour lesquelles la chirurgie n'est plus possible" nous précisait le Dr Jérôme Viguier, responsable du Département Dépistage à l'Institut national du cancer.
Dépistage du cancer du poumon : une réduction de la mortalité de 20 % ?
Reste donc à pouvoir bénéficier d’un outil diagnostic efficace et d’un groupe cible pour lesquels il peut être utile. Depuis 1999, plusieurs études3,4 se font l’écho de l’efficacité d’un dépistage par scanner thoracique à rayons x à faible dose chez les fumeurs. L’étude américaine, la plus vaste et la plus complète sur le sujet, baptisée National Lung Screening Trial (NLST)5 associait un tel dépistage à une réduction de la mortalité par cancer du poumon de 20 % et de la mortalité toutes causes de 6,7 %. Des bénéfices qui sont sur le papier au moins aussi bons que ceux liés au cancer du sein (Selon l’institut national du cancer, la réduction de la mortalité du cancer du sein liée au dépistage est de l'ordre de 15 % à 21 %).
Mais une étude française de moindre ampleur avait souligné la difficulté à écarter les diagnostics faussement positifs, la survenue de possibles complications liées aux explorations induites par ces données6… Autant d’obstacles qui font que tous les experts n’ont pas les mêmes interprétations de ces études.
Pour la Haute Autorité de Santé, ce dépistage du cancer du poumon est inutile
Dans le cadre du Plan Cancer 2014-2019, la Haute Autorité de Santé (HAS) a été saisie pour évaluer la pertinence d'un dépistage du cancer du poumon par scanner thoracique à rayons x à faible dose chez les fumeurs. Et selon ses conclusions rendues en janvier 2016, les conditions ne sont pas réunies pour qu'un dépistage soit possible et utile7. Pour la HAS, six conditions doivent être réunies pour recommander une telle mise en œuvre et elle juge que ce n’est pas le cas. Selon la HAS,
- La maladie est difficilement détectable à un stade précoce à cause de sa rapidité d'évolution : il n'est pas clairement établi qu'il existe une période suffisamment longue - entre le moment où une anomalie est décelable à l'imagerie et l'apparition des premiers symptômes - pour mener un dépistage.
- L'examen de dépistage disponible n'est pas adapté : le scanner thoracique génère trop de faux positifs (jusqu'à 90% des anomalies trouvées au scanner s'avèrent non cancéreuses après examen) et reste irradiant même à faible dose. La question du risque de cancers induits par les radiations se pose d'autant plus que cet examen, qui irradie une large part du thorax, devrait être répété et réalisé régulièrement dans le cadre d'un dépistage.
- Les possibilités de traitements sont restreintes, même à un stade précoce de la maladie : les traitements actuels sont essentiellement chirurgicaux, lourds et réalisables dans certains cas uniquement (selon l'état général de la personne et les caractéristiques de la tumeur).
- Les personnes qui pourraient bénéficier d'un dépistage ne sont pas précisément identifiables : il n'existe pas de repères précis (nombre de cigarettes fumées, ancienneté du tabagisme) permettant d'identifier avec exactitude les fumeurs les plus à risque de développer un cancer du poumon.
- La réduction de la mortalité grâce à ce dépistage n'est pas établie dans le contexte français.
- Il y a trop de risques et d'inconvénients associés à ce dépistage pour des bénéfices très incertains : les inconvénients d'un dépistage du cancer du poumon par scanner thoracique sont nombreux, avec des complications parfois graves voire mortelles suite à l'exploration d'anomalies non cancéreuses identifiées au scanner. Les bénéfices quant à eux sont très incertains.
Cette analyse de la littérature médicale sur le sujet est parallèlement publiée dans la revue European Journal of Cancer.
Dépistage du cancer du poumon : "non" en Europe vs "oui" Outre-Atlantique
Au-delà de cet avis très tranché, on peut souligner que, comme le reconnaissait la HAS dans un point de situation datant de septembre 20148, les positions des différentes autorités sanitaires sont loin d’être unanimes. On observe même une différence de "vision" entre l’Europe et les Etats-Unis.
Inutile pour les autorités de la France, du Royaume-Uni, d’Australie et la société d’oncologie européenne
Comme la France, l’European Society For Medical Oncology (ESMO)9, le National Screening Comittee (NSC UK policy) anglais10 et les autorités australiennes11 sont opposés à la mise en place d’un dépistage de masse du cancer du poumon.
Recommandé aux Etats-Unis, au Canada et par certaines sociétés savantes françaises
En 2013, un comité d'experts français réunis sous l'égide de l'Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT) et du Groupe d'oncologie de la société de pneumologie de langue française (Golf)12 s’était déclaré favorable à un dépistage individuel en France dans certaines conditions et après avoir informé les sujets des avantages et des risques.
Aux Etats Unis, l’American Association for Thoracic Surgery (AATS)13, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN)14, l’American Cancer Society (ACS)15 et l’American College of Chest Physician (ACCP)16 ainsi que l’American Lung Association (ALA)17, l’US Preventive Services Task Force (USPSTF)18 et au Canada, Cancer Care Ontario Program19 se sont prononcés en faveur d’un tel dépistage avec des conditions légèrement différentes (en termes de consommation tabagique). Toutes ces recommandations sont basées sur le National Lung Screening Trial (NLST)5…
Une étude dont la portée est minimisée par la HAS qui juge que "Seule l’étude américaine NLST suggère qu’un dépistage par tomodensitométrie pourrait réduire la mortalité spécifique ; néanmoins, les conditions de réalisation de cette étude et la comparaison menée ne sont pas représentatives du contexte français ; les éléments en défaveur du dépistage (fréquence élevée des faux positifs, risque accru de complications) et la durée de suivi n’excluent pas que le rapport avantages/inconvénients puisse être en défaveur du dépistage".
La HAS demande la poursuite des recherches et l’intensification de la prévention
En conclusion, la HAS insiste sur la nécessité de poursuivre les recherches sur les traitements, les caractéristiques de la maladie et les techniques de dépistage ; d’intensifier la lutte contre le tabagisme et de faire preuve d'une vigilance particulière face aux premiers symptômes qui pourraient alerter sur le cancer du poumon. Néanmoins, si l’on en juge par la conclusion de la HAS, cet avis ne devrait pas officiellement remettre en cause les expérimentations20 annoncées dans le Plan cancer 2014-2019.