Touchant près de 20% de la population française, la migraine est une maladie neurologique d’autant plus handicapante qu’il n’existe à ce jour aucun traitement curatif. Face à ces douleurs, l’hypnose permettrait un réel répit. Comment ça marche ? Est-ce une solution naturelle efficace ? Réponses avec le docteur Jean-Marc Benhaiem, hypnothérapeute et praticien hospitalier, et Wilfrid Nkodia, hypnothérapeute et psychologue clinicien.
Un mal de tête intense, des nausées, des vomissements, pouvant s’accompagner de troubles visuels ou du langage… La migraine est une prise de tête pour près de deux Français sur dix, qui expérimentent ces symptômes plusieurs fois par mois. Cette pathologie est difficile à gérer, les traitements actuellement disponibles permettent de diminuer la fréquence des crises et de limiter leur sévérité sans pour autant les faire disparaître. Mais il en existerait un particulièrement intéressant, car dénué d’effets secondaires et ayant déjà fait ses preuves dans la prise en charge d’autres types de douleur chronique : l’hypnose.
Une solution naturelle contre la migraine
Jean-Marc Benhaiem, hypnothérapeute et praticien hospitalier, a créé le premier diplôme universitaire d’hypnose médicale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. "On a beaucoup de médecins, de neurologues, de psychiatres qui s’y forment, explique-t-il. Dès que les premiers centres de traitement de la douleur ont été créés, ils ont souhaité inclure l’hypnose dans leur variété de thérapies, notamment non médicamenteuses. Car beaucoup de médecins se sentent démunis face aux médicaments qui ont des effets secondaires importants".
L’hypnose contre la migraine : comment ça marche ?
L’hypnose s’est donc imposée comme une technique naturelle pour soulager la migraine. Mais comment fonctionne-t-elle ? Pour le praticien, tout repose sur la compréhension de "la relation que le patient a avec la douleur, explique Wilfrid Nkodia, hypnothérapeute et psychologue clinicien. Pendant la première séance, on fait une anamnèse : on prend en compte son histoire de vie pour savoir comment il considère que cette douleur l’empêche de vivre".
Ce récit va lui permettre d’induire chez le patient un état de conscience modifié (ECM) bénéfique : en utilisant la visualisation, des suggestions et autres métaphores caractérisant la douleur de la migraine, "il va y avoir des modifications de perception qui sont physiologiques", affirme le Dr Benhaiem. Alors que le patient est à mi-chemin entre veille et sommeil, le praticien "réveille ses ressources non-conscientes". L’hypnose va ainsi fonctionner sur le plan sensoriel, émotionnel et psychologique : “On sait que l’ECM va agir sur les circuits cérébraux de la douleur en les rendant moins actifs, précise Wilfrid Nkodia. La personne va aussi se rendre compte que sa douleur diminue et avoir émotionnellement la possibilité d’inscrire cette expérience nouvelle dans un contexte plus positif".
Imaginer un bloc de glace qui fond, le volume d’une radio qui baisse, un feu qui s’éteint… En associant la douleur à ces images, le patient va pouvoir développer des "facteurs de protection", qui permettront de mieux l’accepter et de laisser de côté les sentiments de "frustration" et "d’accablement" qui l’accompagnent habituellement.
L’efficacité a-t-elle été démontrée ?
Plusieurs études scientifiques ont démontré l’efficacité de l’hypnose dans le traitement de la douleur lors de l’accouchement (1), de brûlures (2), de troubles digestifs (3) mais également de crises de migraine et autres types de maux de tête (céphalées de tension notamment).
Une étude publiée en 2008 dans The International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis (4) s’est penchée sur le cas de 47 migraineux. Vingt-quatre d’entre eux ont reçu de la prochlorpérazine pour traiter leurs migraines, tandis que les 23 autres suivaient des séances d’hypnose. Finalement, les crises de migraine ont été éliminées chez 10 patients ayant suivi une hypnothérapie, contre seulement 3 patients sous prochlorpérazine.
Une autre datant de 2019 (5) a montré que comparé à un groupe de contrôle, le groupe ayant testé l’hypnose en ligne a vu ses symptômes considérablement réduits. D’autres travaux encore affirment que l’hypnothérapie "peut être développée comme une option de traitement à utiliser seule, comme un équivalent au traitement conventionnel" (6), et qu’il s’agit d’un "traitement efficace, sans effets secondaires, qui ne nécessite pas de dépense continue comme les traitements médicamenteux" (7).
Soulager les crises mais aussi les prévenir grâce à l’autohypnose
Mais attention : l’hypnose n’est pas une solution miracle, et elle ne marche pas sur tout le monde. “On ne dit pas que l’hypnose soigne la migraine, nuance le Dr Benhaiem : elle soigne la relation que le patient a avec son corps, sa tête, son environnement, de façon à prévenir plutôt que laisser s’installer.” Plusieurs séances sont nécessaires pour déterminer si l’on y est réceptif ou pas.
Et si l’on y est réceptif, l’intérêt est double, puisque l’hypnose permet en effet à la fois de soulager sur le moment la crise de migraine et de l’anticiper. "L’intensité des crises est réduite mais le patient peut également voir ses crises s’espacer, voire disparaître, grâce à l’autohypnose", explique l’expert. Le but d’une séance d’hypnose est aussi de travailler la prévention, "car souvent la personne n’a pas de douleur quand elle arrive. Si un patient explique qu’il a remarqué que la douleur commence à s’installer après une émotion forte, on lui demande si à ce moment-là, il serait capable de faire des exercices d’autohypnose : par exemple, prendre une balle en mousse dans sa main, la serrer fort - c’est la douleur, la contraction - s’installer confortablement et la laisser relâcher doucement, et en même temps relâcher le visage, la mâchoire…". Le patient se voit ainsi confier les clés lui permettant de "travailler des facteurs de protection, ajoute Wilfrid Nkodia. Ainsi, on n’enclenche pas ce qui va mobiliser physiologiquement une douleur".
Contre la migraine, hypnose ou médicaments ?
Doit-on pour autant faire une croix sur les traitements médicamenteux de la migraine ? Par où commencer ? Le Dr Benhaiem suggère que cela dépend des cas : "Si le patient n’a qu’une crise tous les six mois, un antalgique peut suffire à le calmer. S’il ne le supporte pas pour une quelconque raison, on va privilégier l’hypnose et l’autohypnose. Chez un enfant en revanche, c’est sûr que l’on va préférer l’hypnose, pour éviter de commencer la prise de médicaments à cet âge". L’hypnose serait par ailleurs particulièrement efficace sur cette population (8).
Mais pour les patients sous médicaments, rien ne leur empêche de les combiner à la pratique de l’hypnose. Le bénéfice ne pouvant qu’être plus important.