Dans la tête des supporters !
Des milliers de fans qui attendent la Coupe du monde, des millions de Français qui vibrent pour les bleus… Comment peut-on expliquer l'engouement des foules pour le football ? Qui sont les supporters, véritables addicts de ce sport roi ? Comment expliquer les dérives, tels les fameux hooligans ? Petit retour sur la psychologie des amateurs de ballon rond…
Amateurs occasionnels de football, supporters de la première heure ou même hooligans en mal de bagarre, les fondus de football se rassemblent mais ne se ressemblent pas…
Un reflet de la société
Pourquoi le football suscite ainsi un tel engouement populaire ? Tout simplement parce que les gens se reconnaissent dans ce sport. Pour Christian Bromberger, ethnologue et auteur d'un livre sur la passion du football, ce sport "apparaît comme un " jeu profond " qui condense et théâtralise les valeurs fondamentales du monde contemporain". Selon lui, le football valorise le travail d'équipe mais aussi la performance individuelle. Il prône la solidarité, la division des tâches, la planification. Bref, on retrouve les images fortes de la société et du monde du travail. Et à l'image de la vie, le hasard existe dans le football, rappelant que le "le mérite ne suffit pas toujours, sur le terrain comme dans la vie, pour devancer les autres". Et il a tellement de clubs et de joueurs différents que chacun peut forcément trouver une identification. Ajoutez à cela le coté "feuilleton" de la compétition, avec tout ce qu'il faut de suspens et de rebondissements, et vous avez tous les ingrédients du succès populaire.
Supporter un jour…
Mais qu'est-ce qui différencie un simple fan d'un véritable supporter ? Disons qu'ils ajoutent à leur passion pour le football le sentiment d'appartenance à une communauté (ville, région, pays), mais en aussi qu'ils intègrent et revendiquent les codes de conduite propres à leur équipe. Ce qui leur permet d'appartenir à un groupe qui partage ces "valeurs". D'ailleurs, la majorité des supporters se réunissent au sein de clubs, ou d'associations. Et il n'existe pas un mais plusieurs types de clubs de supporters : ils sont nombreux et souvent différents dans leur image, leur mode d'expression…
Et cette appartenance semble positive : des études américaines ont souligné que les supporters sont généralement moins isolés, ont plus d'estime de soi et sont plus optimistes en général. Ils nouent même plus facilement des contacts avec des inconnus… du moins si ces derniers supportent la même équipe ! Enfin, ils auraient une plus grande capacité à affronter les difficultés ou les déceptions de la vie quotidienne : ils ont en effet de l'entraînement à force de surmonter les défaites de leur équipe !
Effet stade
Les groupes de supporters se retrouvent généralement par affinité au stade : les supporters des virages ne sont pas les mêmes que ceux des tribunes présidentielles… D'ailleurs, la psychologie dans les stades est un sujet a part entière ! Ce lieu représente une zone ou on peut laisser libre court aux émotions, totalement à l'opposé d'une société dans la retenue. Joies et peines sont exprimées sans honte, et les insultes et les gestes déplacés y sont autorisés… Paradoxalement les spectateurs ne viennent pas voir au stade pour voir leur équipe gagner ! Comme le souligne psychologue américain Daniel Wamm *, la moitié des supporters savent en arrivant qu'ils ont une chance sur deux d'être déçus parce que leur équipe va perdre. Vous iriez vous voir un film ou dîner au restaurant en sachant qu'il y a une chance sur deux d'être déçu ? Non, ce qu'ils recherchent avant tout, c'est le groupe, l'ambiance, les règles de conduite plus permissives… Seul problème : un risque de dérapage vers une zone de non droit où règne racisme et violence…
Les hooligans sont partout
Ce risque de dérapage est d'ailleurs devenu la règle dans un groupe particulier : les hooligans. Mais dans ce cas, on déborde largement des valeurs véhiculées par le football. Le but des hooligans est l'affrontement avant tout. Ils ne viennent pas pour voir le match mais pour défendre leur groupe. A ce propos ; on citera le film de Lexi Alexander qui démonte subtilement comment un garçon "bien sous tout rapport" mais un peu déraciné peut glisser vers le hooliganisme. Certains peuvent aussi y voir une expression d'un rejet de la société, un moyen de montrer son raz-le bol… D'ailleurs, on met en avant l'âge très jeune des hooligans : à peine sortis de l'adolescence, ils expriment ainsi leur rébellion.
Il semble en tout cas que les mesures prises aujourd'hui pour limiter ces débordements n'aient qu'un effet limité. On verra l'efficacité des mesures mise en place par l'Allemagne lors de la prochaine coupe du monde 2006 (avec notamment des capteurs biométriques)…
* Observer, Psychological science, Mai 2006, vol. 19
Le Match de football : Ethnologie d'une passion partisane, Christian Bromberger, éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 28 Euros.
Dominique Bodin, S. Héas et L. Robène, "Hooliganisme : De la question de l'anomie sociale et du déterminisme (mars 2004)", Champ pénal