Logiciels d'aide à la prescription : des bugs mortels ?
Selon un rapport de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) que Le Parisien a pu consulter, les logiciels d’aide à la prescription largement utilisés dans les hôpitaux, auraient conduit à des erreurs parfois fatales. Interrogée sur le sujet, la ministre de la santé Marisol Touraine déclare qu’il n’est pas acceptable que la vie du patient soit mise en danger pour cette raison et que si des logiciels ont dysfonctionné, ils seront retirés.
Des logiciels d’aide à la prescription généralisés pour éviter les erreurs de prescription
Largement utilisés dans les établissements de santé, ces logiciels ont pour but de réduire les risques d’incompatibilité entre médicaments, de faciliter les échanges entre médecins, patients et pharmaciens, grâce à une écriture lisible et bien codifiée. A l’origine, leur généralisation avait été préconisée par un arrêté du ministère de la Santé d’avril 2011, suite au décès du petit Yliès à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris), après une erreur de prescription médicamenteuse d’une infirmière.
Mais aujourd’hui, la question de la fiabilité de cette centaine de logiciels est posée.
Des logiciels dont la certification n’interviendra qu’en 2015 !
Selon Le Parisien, une patiente est décédée à la suite d’une allergie médicamenteuse en novembre 2011. Pourtant son allergie à l’amoxicilline est dûment signalée dans son dossier… mais ce paramètre n’a pas été pris en compte par le logiciel d’aide à la prescription (LAP) utilisé par l’établissement. Ce décès serait ainsi dû à une défaillance informatique, selon un rapport de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation du 4 mars 2013.
Les experts y écrivent que “La plupart des systèmes informatiques disponibles dans les hôpitaux ne sont pas actuellement performants pour permettre une alerte; en effet, l’information allergie ne peut être intégrée et connectée à une prescription afin de générer une alerte (…) ces systèmes, en place dans de nombreux établissements, n’assurent pas une sécurité fine, en particulier dans le domaine des éventuelles allergies“.
Selon Le Parisien, l’Agence nationale de sécurité du médicament reconnaît avoir reçu “plusieurs dizaines de signalements de dysfonctionnements sur ces logiciels depuis 2012“. Mais leur certification n’interviendra qu’en 2015 ! Aujourd’hui sur une centaine de logiciels, seule une trentaine aurait été certifiée selon la liste publiée sur le site de la Haute Autorité de santé.
Vers un système d’informaticovigilance ?
Dans les colonnes du Parisien, le directeur délégué de la fédération Lesiss, représentant les éditeurs de logiciels, Yannick Motel se défend : “Aujourd’hui, plus aucun établissement de santé ne pourrait se passer de cet outil. Encore faut-il savoir s’en servir, être bien formé et bien le contrôler. Cela fait trois ans maintenant que l’Etat nous promet une certification globale des logiciels. Où en est-on? (…)Nous sommes favorables à une meilleure réglementation, mais à condition d’y être associés“.
Le magazine des systèmes d’information hospitaliers (DSIH) appelle à la mise ne place d’une réelle implication de tous les acteurs “Il devient indispensable que les utilisateurs fassent remonter tous les risques si l’on veut vraiment aller vers des actions correctrices et préventives. C’est une véritable culture de l’informaticovigilance qui doit naître aujourd’hui dans le secteur de la santé“.
Marisol Touraine promet le retrait des logiciels défectueux
Pour l’association Le Lien, qui défend les victimes d’accidents médicaux, il est urgent de retirer les logiciels défectueux, sachant qu’a priori dans ce domaine, le pire côtoie le meilleur. Interrogée sur le sujet sur Europe 1, la ministre de la Santé Marisol Touraine va dans ce sens : “les logiciels défectueux seront évidemment retirés (...) il n'est pas acceptable que la vie du patient soit mise en danger pour cette raison“.
Ne se prononçant pas sur la possibilité d’avancer la certification de ces logiciels avant 2015, elle rappelle également qu’ils ne sauraient remplacer les médecins “la prescription reste un acte individuel et le logiciel d'aide à la prescription ne peut pas se substituer à la prescription personnalisée, individualisée, par le médecin“. “Je ne voudrais pas qu'à travers cette affaire, on jette, une fois de plus, un soupçon sur la manière dont les patients sont accueillis dans les hôpitaux où un travail très remarquable se fait“.
Concernant le cas évoqué en novembre 2011, la ministre déclare : “Il va falloir regarder très précisément ce qui s'est passé (…) Si une enquête est nécessaire, elle sera évidemment lancée“.
David Bême
Sources :
Le Parisien – 10 juillet 2013
DSIH – 10 juillet 2013
Europe 1 – 10 juillet 2013
Photo : ANTONIOL ANTOINE/SIPA