La santé des chômeurs, un enjeu à ne plus ignorer
Alors que l’inversion de la courbe du chômage tarde à venir, les souffrances psychologiques et physiologiques des millions de chômeurs ne sont pas du tout prises en compte par le système. Pour prévenir les risques de désocialisation, d’addictions et de suicide, Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine légale, propose la mise en place d’une "médecine du chômage", au même titre que la médecine du travail.
Quiconque y a été confronté sait à quel point le chômage peut avoir de réelles conséquences sur la santé mentale mais aussi sur la santé physique. En effet, se retrouver soudainement sans activité est au mieux perturbant.
Le traumatisme du chômage
Pour Michel Debout, pas de doute, il s’agit là d’un véritable traumatisme, comme peut l’être une agression, un cambriolage, etc. "Or, la perte d’emploi est rarement considérée comme telle. Il faut donc commencer par nommer les choses et admettre qu’il s’agit bien là d’un traumatisme. Si on est chômeur, c’est qu’on a perdu son emploi : cette perte est bel et bien un événement traumatique"1. Un événement pour lequel il y a toujours un avant et un après. "L’enjeu est de savoir comment négocier l’après" confirme Michel Debout.
Les conséquences psychologique de la perte d’un emploi
L’annonce de la perte de son emploi, notamment lors d’un licenciement ou d’un plan social (5 % des chômeurs le sont à la suite d’un plan social) s’apparente à un véritable choc traumatique. Le futur chômeur traverse plusieurs phases :
- Tout d’abord une phase qui s’apparente à un "deuil", le monde s’écroule pour la personne concernée. Son quotidien, sa vie sera bouleversée par cette décision dont il n’est pas à l’origine et qui arrive le plus souvent soudainement ;
- Puis arrive un sentiment de dévalorisation, de dépréciation voire d’humiliation ;
- Passées ces phases liées à l’annonce vient celle de la sidération ou à l’inverse, une hyper-réaction émotionnelle.
Après, tout dépend de la situation et de la personnalité. Chez certaines personnes, peuvent apparaitre des réactions de type anxieuses comme une perte d’appétit, de sommeil, une irritabilité, des sautes d’humeur…
Parfois, un sentiment de culpabilité et/ou de honte s’empare du chômeur, qui se convainc du fait qu’il n’arrive à rien, que ce qui lui arrive est mérité. Enfin, de la colère peut survenir, "avec un sentiment de persécution, d’injustice, parfois liée à des idées de vengeance. Néanmoins, la colère est beaucoup moins « déstructurante » que la culpabilité" nuance le Pr Debout. Et au fur et à mesure, "le chômeur a de moins en moins confiance en lui, sa confiance s’érode. Or, la perte de l’estime de soi est l’un des premiers symptômes de la dépression" poursuit-il. Heureusement, l’aide familiale, sociale et médicale peut aider le chômeur à remonter la pente. Parfois au contraire, le chômage a des conséquences dramatiques sur la vie familiale (divorce, séparation, etc.) et aggrave donc les problèmes.
Suicide et chômage : un risque réel
Dans d’autres cas, "les difficultés psychologiques des chômeurs peuvent affecter leurs capacités personnelles et faire obstacle à la recherche d’un nouvel emploi. Cette recherche devient souvent l’unique activité du chômeur, elle est même rendue obligatoire en contrepartie des allocations perçues ; cela peut lui donner une dimension obsédante" raconte le professeur dans son ouvrage, Le traumatisme du chômage. Et dans les pires scenarios, cela peut aboutir à une dépression, des addictions et parfois même au suicide.
"En 2009 déjà, la crise naissante me faisait craindre un nombre de suicides plus important, se rappelle le Pr Debout. Et l’avenir devait me donner raison puisqu’en 2012, 700 morts par suicide supplémentaires ont été recensés sur les 3 années précédentes". Début 2015, l’Institut National de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié une étude liant les taux de chômage et de de suicide en France. Résultat, pour une augmentation de 10 % du taux de chômage, le taux de suicide a augmenté significativement de 1,5 %, et cela est plus particulièrement vrai chez les hommes jeunes (26-48 ans) chez qui ce taux atteint 2,6 %². D’après le premier rapport publié par l’Observatoire du suicide (créé en 2014), "les hommes et les personnes en âge de travailler sont davantage touchés par une hausse du nombre de suicides lorsque le taux de chômage augmente"3.
Pour une médecine du chômage
"Face à ces constats, des mesures doivent être prises pour prendre en compte la souffrance de ces millions de chômeurs abandonnés à leur sort et surtout, prévenir les cas les plus graves. Et selon moi, il est nécessaire de mettre en place une médecine préventive des chômeurs, au même titre que la médecine du travail pour les salariés. Demain, il faut que la médecine préventive soit considérée au même titre que la "médecine de soins"" propose le Pr Debout.
Concrètement, comment cela pourrait-il se traduire ? Pour Michel Debout, cette "médecine du chômage" doit s’articuler autour de deux moments : avant la sortie de l’entreprise et lors de l’inscription de Pôle emploi. "Pour réduire les risques à court, moyen ou long terme, un rendez-vous avec la médecine du travail lors de la sortie de l’entreprise serait vraiment essentiel. Cela permettrait également de donner un peu plus de sens à la vie des chômeurs, explique le psychiatre. "Puis, dans un second temps, il faudrait qu’au premier rendez-vous avec le conseiller Pôle emploi, soit donné à chaque chômeur un autre rendez-vous médical. Concrètement, Pôle Emploi pourrait contractualiser un accord avec les institutions publiques (centres de santé ou CHU) pour ces rendez-vous médicaux. Car effectivement, ça n’est clairement pas le rôle des conseillers de faire de la prévention médicale". Ce "bilan" pourrait avoir lieu 2 à 3 mois après la perte de l’emploi, pour que le chômeur ait eu le temps de digérer cette nouvelle.
"Et pour ceux qui seraient encore au chômage un an plus tard, pourquoi pas organiser un autre rendez-vous de suivi ?" s’interroge-t-il. Et de poursuivre : "Pour le moment, il ne s’agit que d’une proposition – déjà évoquée en 1993 – dans mon ouvrage mais nous espérons, après concertations avec les acteurs publics et sociaux impliqués, lancer un appel auprès des institutions".