Cancer : le suivi online des patients améliore leur pronostic
Destinée aux patients atteints de cancers avancés sous chimiothérapie, une application de télésuivi a amélioré leur pronostic avec un gain de 5 mois de vie supplémentaire. Après avoir transformé nos modes de communication, les nouvelles technologies permettent aux patients d’être plus écoutés et d'avoir un rôle encore plus actif dans leur prise en charge. Le point avec le Dr Pierre Heudel du centre Léon Bérard.
Il est essentiel d’écouter le patient autour de la tumeur
Au début des années 2000, les Etats Généraux de la Ligue contre le cancer ont fait entendre la voix des patients, qui avaient souligné leur volonté d’être entendus et écoutés par les soignants et les autorités de santé comme des acteurs essentiels (sinon les principaux) de leur prise en charge. Près de 20 ans plus tard, on parle enfin de décision médicale partagée en cancérologie.
Et ce partage des connaissances (voire du "pouvoir médical") est bénéfique pour la santé du patient. Face au redoutable cancer du poumon, une équipe américaine montrait que la prise en compte de la parole du patient (notamment en introduisant précocement des soins de support) permettait, par rapport à une prise en charge classique basée sur un traitement standard de chimiothérapie très agressif, d’offrir une meilleure qualité de vie, un traitement moins agressif dans les derniers mois de leur vie et au final un meilleur pronostic1.
De nombreuses autres études soulignent l’importance de prendre en compte la parole du patient et son rôle central dans sa prise en charge.
Cancer du poumon : une application d’autosurveillance améliore la survie du patient
Le patient peut rapporter les effets secondaires des traitements ou des paramètres témoignant de l’évolution de sa maladie (permettant ainsi de déceler plus rapidement une possible complication du traitement ou une récidive du cancer). Lors du congrès 2016 de l’ASCO, le Dr Fabrice Denis, de l'Institut inter-régional de cancérologie Jean Bernard au Mans, présentait les bénéfices d’un suivi post-traitement (après chimiothérapie initiale, radiothérapie ou chirurgie). Dans son étude, 133 patients de stade avancé de cancer du poumon avaient été répartis en deux groupes : un bénéficiant d’une appli web de suivi utilisant un algorithme breveté (Moovcare TM), l’autre moitié bénéficiant d’un suivi standard (avec des visites chez le médecin et un scanner tous les 3-6 mois - ou plus souvent à la discrétion du médecin).
Résultat : une meilleure qualité de vie, une plus grande rapidité pour adapter le traitement et surtout un gain de survie de 7 mois pour les patients connectés ! Un gain étonnant pour un cancer dont le pronostic reste particulièrement sombre2.
Cancers métastatiques : le suivi online améliore leur pronostic
Lors du congrès 2017 de l’ASCO, l’étude américaine du Dr Basch a suivi à 766 patients atteints de cancer métastatique et sous chimiothérapie grâce à une application leur permettant de signaler leurs symptômes en temps réel (perte d'appétit, difficulté à respirer, fatigue, bouffées de chaleur, nausée, douleur…). En cas de symptômes important ou s'aggravant, une alerte était déclenchée pour les infirmières. Résultat : les patients qui ont bénéficié de cet outil (baptisé Symptom Tracking and Reporting ou STAR développé pour la recherche et non commercialisé)3 ont vécu en moyenne 5 mois de plus que ceux qui ont eu un suivi classique (31,2 mois versus 26 mois)4.
Des résultats importants même si on ne sait pas clairement si le bénéfice est lié à la réponse plus rapide des infirmières, au fait que les patients restent plus actifs physiquement grâce à ce type de suivi – ce qui participe à un meilleur pronostic ou si grâce à ce suivi, ils ont mieux gérer la chimiothérapie (ils ont en moyenne suivi la chimiothérapie 2 mois de plus). L’étude se poursuit dans tout le pays avec un outil plus convivial disponible sur le web et les mobiles des patients.
Télésuivi des patients : une urgence suite au virage ambulatoire
"En tant qu’oncologue, nous nous battons pour obtenir toujours les meilleurs traitements pour nos patients, comme les dernières thérapies ciblées avec parfois des gains limités. Aujourd’hui, on voit que ces systèmes basés sur une meilleure écoute des patients permettent non seulement d’améliorer leur qualité de vie mais aussi d’améliorer leur pronostic" souligne le Dr Pierre Heudel, du département d’oncologie médicale du Centre Léon Bérard (Lyon) et coordonnateur médical du projet myCLB, un portail d’informations et de liaisons pour les patients du Centre Léon Bérard5.
Pour ce spécialiste, ce suivi à distance devient d’autant plus crucial que la prise en charge ambulatoire laisse le patient de moins en moins de temps à l’hôpital, une tendance accentuée par le recours plus fréquent à des anticancéreux oraux.
Un défi organisationnel plutôt que technique
Au centre Léon Bérard, le portail myCLB généralisé à l’ensemble des patients en mai 2016 vise à permettre aux patients d’interagir directement en ligne avec leur parcours au sein de l’établissement, ainsi que d’alimenter et de consulter leur dossier médical en ligne. Pour l’hôpital, cela permet de gagner du temps de téléphone et d’améliorer l’exhaustivité de l’information au sein du dossier de chaque patient. Des questionnaires de suivi en ligne sont envoyés aux patients après une chirurgie ambulatoire (et bientôt pour les patients sous anticancéreux oraux).
Le centre Léon Bérard ou l’Institut Curie comptent parmi les établissements qui ont rapidement saisi l’intérêt de tels "télésuivis". Mais c’est loin d’être le cas au niveau de tout le territoire… "Contrairement à ce que l’on pense, les principaux freins ne sont pas techniques mais plutôt organisationnels. Concrètement qui récupère les alertes y compris le week-end ? Qui coordonne le parcours de soins du patient entre son domicile et ses consultations à l’hôpital ou chez le médecin ? Comment s’assurer que les données recueillies par tel établissement sont exploitables par tel autre ?…" souligne le Dr Pierre Heudel.
La nécessité d’une réelle volonté politique
Pour répondre à ces questions, il faut une réelle volonté politique qui devra d’une part clarifier la tarification autour de ces actes, sous peine de ne pouvoir disposer des postes nécessaires au suivi à distance de ces patients (dans des établissements aux budgets très contraints) et d’autre part, impulser une réelle dynamique nationale. L’enjeu est de coordonner les initiatives en évitant les erreurs du passé. "L’important est de ne pas reproduire ce qui a été fait avec les systèmes d’information hospitaliers avec des outils différents d’un hôpital à l’autre, incapables de dialoguer entre eux et ne récoltant pas les mêmes données. Il faut absolument que ces systèmes soient "interopérables" pour une bonne exploitation des données, mais aussi pour un bon suivi du patient qui ne comprendrait pas d’avoir à saisir un login/mot de passe différent pour chaque établissement, chaque prise en charge ou examen…" souligne le Dr Heudel.
Une mission qui n’est pas impossible : Au niveau de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le portail myHop regroupe 9 établissements (dont myCLB du Centre Léon Bérard) soit 100 000 patients6. Le projet devrait en accueillir 9 nouveaux avant la fin 2017. Et au Danemark, une politique nationale a permis des avancées remarquables avec une communication dématérialisée entre la ville et l’hôpital, le médical et le médico-social.
Toutes ces études et ces initiatives plaident en faveur d’une utilisation plus large et en routine d'outils en ligne permettant aux patients de communiquer en temps réel leurs symptômes à l'équipe soignante. Une vérité pour le cancer mais vraisemblablement pour l’ensemble des maladies chroniques ou même des suivis obstétriques.