Neurasthénie : causes, symptômes et diagnostic
"Tu ne serais pas un peu neurasthénique… " Qui n’a jamais entendu cette phrase ? Mais de quels maux ce qualificatif se fait-il l’écho ? Disparue du lexique médical, la neurasthénie a été remplacée par la dépression. D’hier à aujourd’hui, description d’une maladie qui se soigne.
Définition
"Aujourd’hui, le terme de neurasthénie ne correspond à aucune entité clinique sur le plan diagnostic", indique le Pr Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie du CHU Henri-Mondor (site Albert-Chenevier), à Créteil.
"S’il existe toujours dans la classification de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), c’est probablement parce que certains pays l’utilisent encore, souligne-il. Mais dans la psychiatrie moderne, la neurasthénie n’a jamais été consacrée".
L’embarras avec ce terme tient en grande partie à son étymologie, et plus précisément aux deux composantes qui le constituent : neur(o) et asthénie.
"Si l’on est du côté du neuropsy, on évoquera plutôt l’humeur, c’est-à-dire un trouble qui se rapproche de la dépression, et si l’on est davantage du côté de l’asthénie, on se rapprochera plutôt de la fatigue essentiellement physique, analyse le spécialiste des troubles anxieux. Toutefois, ce qui aujourd’hui correspondrait le mieux à cet état est à chercher du côté du burn-out, avec au premier plan une fatigue importante, mais avec aussi un arrière-plan de démoralisation, voire de stress intense" précise notre expert.
La neurasthénie, l’ancêtre de la dépression
Apparue à la croisée des premières classifications médicales et du début de la psychanalyse, la qualification de "neurasthénie" est à considérer "comme un précurseur de ce qui allait prendre le nom de dépression", renchérit le Pr Pelissolo.
Rappelons qu’une personne sur cinq fera au moins un épisode dépressif au cours de son existence, qui nécessitera une prise en charge. "En France, 5 à 10 % de la population est touchée par cette maladie", précise le Pr Pelissolo.
Les symptômes qui doivent alerter
La dépression est une maladie qui compte de nombreuses combinaisons possibles de symptômes, à la fois physiques et psychiques. Elle peut advenir brutalement, ou lentement.
Parmi les principaux signes, Antoine Pelissolo énumère :
- La souffrance morale ;
- La fatigue physique ;
- Une grande lassitude qui, à cet égard, est assez proche de l’acception propre à la neurasthénie, tout comme la lenteur physique et/ou psychique (une forme d’apathie appelée ralentissement) ;
- Le manque d’envie, d’entrain, et donc de plaisir ;
- La perte d’appétit ;
- La culpabilité ;
- La dévalorisation ou une baisse de l’estime de soi ;
- Un changement d’humeur, qui se traduit souvent par de l’irritabilité ;
- Des insomnies ou, au contraire, une hypersomnie ;
- Des troubles cognitifs : problèmes de mémoire, d’attention, de concentration ;
- Une hypersensibilité ou une forte émotivité qui peuvent conduire à s’isoler ;
- La rumination d’idées noires, pouvant aller jusqu’à des envies suicidaires.
"En cas de rupture avec l’état habituel, même si ce décrochage a été progressif, cela justifie une démarche médicale ou psychologique, car s’il s’agit vraiment d’une dépression, cela se soigne", encourage le spécialiste. Or cette maladie est encore trop souvent passé sous silence.
Quelles sont les causes ?
Là aussi, elles peuvent être multiples et intriquées. Mais surtout, à la façon d’un iceberg, il y a l’immédiatement perceptible, en tout cas pour le patient, et une partie plus enfouie qui, si elle est négligée ou mal explorée, peut favoriser le risque de rechute.
"Beaucoup de patients qui ont des dépressions très graves relient ce qui leur arrive à un facteur déclencheur. Certes, il faut en tenir compte, car cela s’inscrit dans leur lecture des événements, mais on s’aperçoit avec le temps qu’en vérité, la survenue de la dépression est indépendante de ce facteur et que ce n’est pas en supprimant la cause que l’on réussira à soigner la dépression", témoigne le Pr Antoine Pelissolo.
Les déterminants sont de divers ordres, biologiques, endocriniens, génétiques, familiaux (en particulier dans le trouble bipolaire), etc. On parle même de plus en plus de l’influence du microbiote, et donc des troubles intestinaux, pour expliquer l’augmentation de cette maladie, et notamment des troubles anxieux.
"Ce peut être constitutionnel aussi, complète le Pr Pelissolo. Il y a des personnes qui très tôt dans leur existence ont pu avoir une cristallisation de certaines fragilités émotionnelles. C’est l’hypothèse d’événements de vie assez précoces qui ont pu marquer le développement de la personnalité".
À noter que comme pour la neurasthénie, il y a jusqu’à deux fois plus de dépressions chez les femmes que chez les hommes – à l’exception de la dépression bipolaire qui touche à part égale les deux sexes. "Cette différence tiendrait à des facteurs sociaux (pression sociale, surmenage, traumatismes…). Parmi les nombreuses causes possibles, il y a également l’hypothèse des facteurs hormonaux qui pourraient jouer un rôle", décrypte le psychiatre.
Comment poser le diagnostic ?
Le seul examen qui vaille passe par la parole. Seuls les mots exprimés par le patient permettront d’orienter vers une prise en charge adaptée.
"En fonction de ce que les patients nous disent, on essaie d’avoir un regard diagnostic qui soit le plus possible en conformité avec les classifications actuelles, rapporte le psychiatre. Ces classifications ont été régulièrement travaillées, enrichies, révisées pour décrire des entités qui ont une validité, d’une manière ou d’une autre, et pour lesquelles il y a consensus".
La dépression en fait partie, tout comme les troubles anxieux ou encore les troubles bipolaires.
Quels traitements mettre en place ?
La dépression n’est pas une fatalité. Elle se soigne, en sachant toutefois que c’est une maladie à forte récurrence. D’où l’importance d’une bonne prise en charge.
Les traitements, qui font l’objet d’un protocole thérapeutique bien précis, sont fonction de la gravité et de l’intensité des symptômes, nous dit Antoine Pelissolo :
- En cas de dépression légère, sans handicap majeur, un accompagnement psychologique, voire une psychothérapie cognitive ou cognitivo-comportementale sont à privilégier. L’objectif consiste à donner au patient des outils de gestion des émotions et de travailler sur la motivation ;
- En cas de dépression modérée à sévère, avec une souffrance plus intense et un retentissement invalidant, on donnera en première intention des antidépresseurs. Le but est de supprimer autant que possible, et plus ou moins rapidement, les aspects les plus gênants de la maladie, afin de pouvoir entamer une psychothérapie.
"Si les antidépresseurs entraînent des effets secondaires assez modérés, mais qui viennent s’ajouter aux symptômes de la dépression, tels que des troubles digestifs et de la libido, ou une tendance à la somnolence et, dans certains cas, à la prise de poids, ils sont réversibles", note Antoine Pelissolo. En arrêtant le traitement, progressivement et en concertation avec le médecin qui vous suit, ces effets secondaires disparaissent. Et aucun risque d’addiction.
Une prévention est-elle possible ?
Certaines mesures ou apprentissages peuvent permettre d’acquérir les moyens de mieux faire face à l’adversité.
"Ce qui peut être utile, c’est d’avoir une meilleure connaissance de soi, et en particulier de son fonctionnement émotionnel, observe le Pr Pelissolo. C’est pourquoi on préconise de faire un peu d’éducation à la santé mentale, à la gestion des émotions et du stress. C’est ce qui va permettre d’être mieux avec les autres et de réduire ainsi les facteurs de risque".
Enfin, il y a une dimension physiologique à ne pas négliger, et qui tient en trois mots, l’hygiène de vie. Soit dans le détail, une alimentation équilibrée et variée, une activité physique régulière (qui favorise notamment la sécrétion de la sérotonine), un bon sommeil, et donc des rythmes plutôt bien calés. En clair, cultivez votre bien-être.