Le stress peut-il causer un cancer ? La réponse de notre expert oncologue
Dans une interview donnée au Parisien, Stéphane Bern a évoqué le lien possible entre un stress intense vécu par le roi Charles III et la survenue de son cancer annoncé récemment. Mais cette idée répandue est-elle fondée ? Le stress peut-il être la cause d’un cancer ? Réponse du Dr Ivan Pourmir, oncologue et chercheur en immunologie.
Un choc émotionnel et le stress qui en découle peuvent-ils être à l’origine d‘un cancer quelques mois ou quelques années plus tard ? L’idée reçue, plutôt répandue, a de nouveau été évoquée alors que l’annonce du cancer du roi Charles III fait grand bruit dans les médias. Lundi, l’animateur Stéphane Bern, spécialiste des têtes couronnées a émis la même hypothèse : "On sait que les cancers peuvent se développer à la faveur de chocs émotionnels. Et, avec Harry, l’épreuve a été très douloureuse". Mais dit-il vrai ? Que dit la science ? Nous avons posé la question au Dr Ivan Pourmir, oncologue et chercheur en immunologie, membre de notre comité d’experts.
Un lien de causalité bien difficile à explorer scientifiquement
Si depuis, la mention, "il n’a jamais été démontré scientifiquement qu’un choc psychologique ou émotionnel pouvait provoquer ou favoriser un cancer" a été apposé par précaution sur l’article du Parisien, notre expert nuance un peu cette affirmation. "Au niveau scientifique, disons surtout qu’on a aujourd’hui peu de données épidémiologiques fiables sur ce sujet, permettant de conclure à un lien significatif ou non".
Et pour cause, explorer l’effet du stress sur la survenue de cancer du point de vue épidémiologique serait extrêmement compliqué. "Il faudrait des études observationnelles qui demanderaient de quantifier l’état de stress d’une personne. Mais de quelle façon ? ll y a tellement de manières, de raisons de stresser ou de vivre le stress… Il faudrait ensuite quantifier cela de façon reproductible et pertinente, pour donner un score de stress et voir comment les gens évoluent, voir s’ils développent plus ou moins de cancer selon leur stress, de façon prospective ou rétrospective. Il y a également tant d’autres facteurs qui peuvent entrer en jeu (comme l’exposition à des produits cancérogènes… ) avec ou sans stress, que le biais serait énorme" détaille notre expert.
Mais un effet sur le système immunitaire plausible
Du côté des preuves scientifiques, le lien de causalité est donc difficile à quantifier. En revanche, du côté des hypothèses, le mécanisme entre psychisme et survenue de cancer est un terrain qui intéresse particulièrement les chercheurs.
"Il y a deux possibilités. Il est d’une part possible d’envisager que notre système nerveux produise des hormones lors de périodes de stress, et que ces substances-là aient un effet sur la cancérisation de cellules". Mais comme l‘évoque le chercheur, cette hypothèse mettrait de très nombreuses années à aboutir à un effet difficilement prouvable. "Cela ne permet pas de dire qu’un stress soit à l’origine d’un cancer découvert 6 mois plus tard".
L’autre mécanisme plausible, c’est que la relation entre le stress, ou un état psychique négatif (comme une dépression, un traumatisme, un deuil…) et le cancer, se fasse au travers du système immunitaire. “Ce qu’on commence à caractériser de façon solide, c’est que notre état psychique et notre mental ont une influence sur notre système immunitaire et sa capacité à assurer certaines fonctions, notamment celles de combattre des infections, de surveiller le corps ou de juguler des cellules cancéreuses autant que possible" précise notre expert.
Imaginons que votre système immunitaire parvienne à contenir un cancer en phase microscopique, un événement de vie brutal provoquant une immunodépression pourrait favoriser une avancée du cancer et le rendre décelable. "Mais c’est une possibilité, pas une certitude" tempère le Dr Pourmir.
Se servir de ce lien pour renverser l’effet
La possibilité d‘un lien existant entre santé psychique et développement d‘un cancer n’est toutefois pas si négative. "Inversement, si cette relation existe, cela signifie qu’il y aurait alors des opportunités pour intervenir sur le mental, de façon non médicamenteuse, capables d’amplifier les traitements existants et la guérison. Je serais intéressé de voir ce que la méditation, l’hypnose ou des choses de cet ordre peuvent faire sur le psychisme des gens et à quel point cela modulerait leur système immunitaire et favoriserait l’action de traitements comme les immunothérapies. Avancer dans cette voie serait un vrai progrès".
Quoiqu’il en soit, un point reste essentiel pour notre expert : il ne sert à rien de culpabiliser les gens parce qu’il leur est arrivé quelque chose dans le passé, ou parce qu’ils n’ont pas su rester positifs face à une difficulté ou pendant leur cancer. "Si vous commencez à culpabiliser dès que vous n’êtes pas positif, cela devient compliqué à vivre, et c’est un cercle vicieux" en conclut l'oncologue.