Zoom sur la maladie à corps de Lewy, dont souffre Catherine Laborde
Maladie complexe, fluctuante et évolutive, la maladie à corps de Lewy fait partie des maladies neurodégénératives. Quelle en est la cause ? Comment se manifeste-t-elle ? Existe-t-il des traitements ? Le point avec deux spécialistes.
Si la maladie d’Alzheimer fait partie des maladies neurodégénératives bien connues, ce n’est pourtant pas la seule. Ainsi, la maladie à corps de Lewy représente 15 à 20 % des maladies neuro cognitives et touche chaque année entre 150 000 et 200 000 personnes. C’est la deuxième cause de d’atteinte des fonctions intellectuelles ou d’altération cognitive d’origine neurodégénérative. "Un chiffre probablement sous-estimé puisque de nombreuses personnes ne sont pas diagnostiquées de leur vivant", souligne le Pr Frédéric Blanc, neurologue et responsable de l’unité de Neuropsychologie aux hôpitaux universitaires de Strasbourg.
Une maladie encore méconnue et mal diagnostiquée
Décrite pour la première fois par le Dr Friederich Henrinch Lewy (un neuroanatomiste et psychiatre allemand) en 1912, la maladie à corps de Lewy se traduit par des symptômes à la fois moteurs, cognitifs, du système nerveux et comportementaux. En cause : l’accumulation anormale d’une protéine (l’alpha-synucléine) formant les "corps de Lewy" - dans les cellules nerveuses du cerveau et plus précisément au niveau du cortex.
C’est seulement en 1996 que le tableau clinique descriptif de la maladie a pu être établi de manière précise. Si elle emprunte certains symptômes propres à la maladie d’Alzheimer et d’autres à la maladie de Parkinson, la maladie à corps de Lewy présente de réelles spécificités. "Au départ, les patients consultent pour des symptômes qui font penser à une maladie de Parkinson ou à une maladie d’Alzheimer. Comme la description clinique de cette maladie est récente, très peu de médecins savent la diagnostiquer correctement. Le retard diagnostique peut donc être assez long", explique le Pr Claire Paquet, neurologue et neuropathologiste, Chef du Centre de Neurologie Cognitive qui a créé une unité fonctionnelle dédiée à la maladie à corps de Lewy à l’hôpital Lariboisière. Toutefois, chez les patients âgés, il est possible de souffrir conjointement de la maladie d’Alzheimer et d’une maladie à corps de Lewy.
Contrairement à la maladie de Parkinson qui peut parfois concerner des trentenaires, la maladie à corps de Lewy se déclare généralement après 50 ans ou 70 ans. L’imagerie médicale ne permet pas toujours de l’envisager. "Contrairement à la maladie d’Alzheimer pour laquelle l’atrophie cérébrale se voit à l’IRM, la maladie à corps de Lewy ne se traduit pas toujours par des anomalies visibles à l’examen", précise le Pr Frédéric Blanc.
Une large variété de symptômes
Dans 86 % des cas, la maladie à corps de Lewy se traduit par des troubles physiques : akinésie (lenteur à effectuer des gestes), rigidité, tremblements… pouvant faire penser à une maladie de parkinson, même si ces symptômes peuvent être discrets. "Les malades sont souvent ralentis, ont le regard fixe et le dos voûté" observe le Pr Frédéric Blanc.
Sur le plan cognitif, ces personnes connaissent fréquemment des troubles de l’attention, de la mémoire, voire de la confusion (absences transitoires) ainsi que des difficultés à s’organiser pouvant compliquer la vie quotidienne. "A un certain stade de la maladie, ils ne sont plus à même de gérer leur traitement médical ou de s’occuper de leurs papiers administratifs, par exemple", ajoute le spécialiste.
A ces perturbations souvent fluctuantes au cours du temps et variables selon les personnes, viennent s’ajouter souvent des troubles de l’humeur et du comportement : anxiété, dépression et hallucinations.
Chez 80 % des malades, les hallucinations peuvent être visuelles, auditives, voire olfactives. Certaines peuvent être agréables mais d’autres terrifiantes. Elles peuvent prendre des expressions variées et altérer la vie quotidienne. Certains malades peuvent raconter qu’ils ont revu un proche décédé 10 ans plus tôt, d’autres revivront certaines scènes de leur jeunesse… ou seront convaincus de voir passer des animaux ou des lutins dans leur maison. Les sensations de passage ou de présence (la perception de présences dans leur environnement est également fréquente). "Au début de la maladie, ils seront critiques sur l’hallucination mais au fur et à mesure que la maladie évolue, ils n’y feront parfois plus attention et pourront l’intégrer comme faisant partie de leur quotidien", explique le Pr Frédéric Blanc.
Le syndrome de Capgras : une manifestation fréquente
Autre spécificité qui concerne 30 % des malades : le syndrome de Capgras. Il s’agit d’une sorte de phénomène de duplication lié à des perturbations dans la zone de l’insula dans le cerveau. La personne est convaincue que son conjoint est un sosie (potentiellement malveillant), par exemple ou que la maison dans laquelle elle vit n’est pas la sienne même si elle lui ressemble. "Cette manifestation, là encore fluctuante, peut être très perturbante pour l’entourage qui ne sait pas toujours comment réagir", précise le Pr Claire Paquet.
Enfin, les troubles du comportement en phase de sommeil paradoxal sont également caractéristiques de la maladie et là aussi fluctuants. En principe, lorsque nous sommes endormis pendant la phase de sommeil paradoxal (au cours de laquelle nous rêvons), notre corps est inerte. Chez ces malades, le corps bouge et la personne "vit ses rêves" de manière très intense. Cela peut se traduire par des cris, des chutes, voire des agressions sur le conjoint ou l’entourage, etc. Les conséquences de ce somnambulisme d’un genre particulier peuvent être graves.
Une maladie fluctuante
Avant de se traduire par des symptômes caractérisés, la maladie à corps de Lewy peut se manifester par des symptômes peu évocateurs, comme la perte d’odorat ou une dépression, plusieurs années auparavant. C’est ce qu’a vécu la compagne aujourd’hui décédée de Philippe de Linares, président de l’A2MCL, une association destinée à mieux faire connaitre la maladie et à apporter des informations utiles aux proches et aux aidants.
L’une des particularités de cette maladie, c’est son imprévisibilité, son haut degré de variabilité et l’importance des fluctuations cognitives qu’elle induit, tant au niveau de la concentration, de la vigilance ou de l’éveil. Ainsi, d’une semaine à l’autre, mais même parfois d’un jour à l’autre, voire selon les moments de la journée, l’état de la personne peut très rapidement fluctuer. "Certains jours, elle peut se sentir très bien. Puis, d’un seul coup, elle fera des siestes de deux heures, se mettra à trembler ou à avoir des hallucination", explique le Pr Frédéric Blanc. Un vécu déconcertant, aussi bien pour le malade (qui a généralement conscience de son état, du moins au début de la maladie), que pour l’entourage et pour les soignants.
Des traitements symptomatiques
A l’heure actuelle, il n’existe pas de traitements curatifs permettant d’espérer une réversibilité de la maladie. En revanche, des traitements symptomatiques visant à atténuer les symptômes peuvent être prescrits en fonction des symptômes du patient.
Pour les troubles moteurs, certains médicaments utilisés dans la maladie de Parkinson sont prescrits, généralement avec succès. Pour les patients très somnolents, le Pr Claire Paquet a parfois recours à la luminothérapie. "Une exposition de 30 minutes tous les matins permet d’améliorer la vigilance", explique la neurologue qui insiste par ailleurs sur la nécessité de bien prendre en charge les troubles du sommeil, y compris pour préserver la santé des aidants. Des médicaments utilisés pour les malades d’Alzheimer sont également prescrits pour les troubles cognitifs.
Concernant les troubles psychiatriques et notamment les hallucinations, la prescription de certains médicaments comme les neuroleptiques doit se faire avec précaution. En effet, 80 % des malades présentent une sensibilité à cette classe de médicaments qui peut se traduire par des effets secondaires importants (paralysie, aggravation des troubles, voire décès). "On observe également des ças de syndrome malin des neuroleptiques se traduisant par de la fièvre, une atteinte des muscles, une grande faiblesse, etc.", ajoute le Pr Frédéric Blanc. Pour autant, ces médicaments peuvent être toutefois nécessaires en cas d’hallucinations angoissantes qui peuvent rendre le quotidien très pénible à vivre.
En complément des médicaments, d’autres soins peuvent être proposés. C’est le cas du suivi régulier chez un kinésithérapeute pour éviter l’aggravation motrice, diminuer le risque de chute et ralentir le processus de raidissement du corps. Des séances de stimulation orthophonique et cognitive (les ateliers ping-pong peuvent être intéressants en ce sens) représentent également une forme d’accompagnement complémentaire.
Compte tenu de l’hétérogénéité des cas et du caractère fluctuant des symptômes, le médecin est contraint d’ajuster régulièrement les traitements en fonction de la clinique et de l’évolution de la maladie.