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  • Cancer : pourquoi une patiente a-t-elle dû faire appel aux dons pour payer son traitement ?

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     David Bême
    David Bême Rédacteur en chef

    chimiothérapie

    Habitante du Gard, Leslie Salut a lancé un appel aux dons pour financer son traitement contre le cancer du sein, qui ne serait plus remboursé. Au-delà du formidable élan de générosité suscité par son initiative, on peut s’interroger : pourquoi une patiente cancéreuse a-t-elle besoin de lancer une cagnotte pour payer sa prise en charge ? Les prises en charge de cancer ne sont-elles pas entièrement payées par la solidarité nationale ? Doctissimo enquête.

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    Le cas particulier de Leslie Salut

    Touchée par le cancer du sein en 2009, Leslie Salut a été soignée par chimiothérapie, ablation du sein et radiothérapie. Après deux récidives métastatiques en 2013 et 2015, elle préfère choisir une chimiothérapie orale "moins lourde" (Xeloda ® et Navelbine ®) en accord avec son oncologue, le Dr Mouysset. D’après son témoignage, cette association n’apportait pas d’amélioration malgré une augmentation des doses. Mais en janvier 2016, son oncologue ajoute alors le bevacizumab (Avastin ®) au traitement à raison d’une injection toutes les trois semaines. Ce médicament est un anti-angiogénique, qui agit sur le processus de formation des nouveaux vaisseaux qu'utilise la tumeur pour croître.

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    Selon la patiente et son médecin, cette association a permis d’obtenir de très bons résultats, sans les effets secondaires d’une chimiothérapie classique (perte de cheveux, fatigue…). "Depuis, je me sens de mieux en mieux, je suis moins en souffrance physique, j’ai un meilleur moral et une meilleure mine, j’ai une vie sociale, je travaille et m’occupe de mon fils" confie Leslie.

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    Mais trois jours avant la date de son injection prévue pour le 30 mars, elle est avertie que son traitement n’est plus remboursé en raison d’un "service médical rendu jugé insuffisant"1. Ce qui l’a conduit sur les conseils de son oncologue, à lancer un appel aux dons via "La cagnotte des proches" pour pouvoir payer son traitement (1 632,65 € par injection toutes les trois semaines). Après quelques jours, la cagnotte a permis de récolter près de 40 000 euros (soit 18 mois de traitement).

    Parallèlement, l’étude du dossier de cette patiente a permis de voir qu’elle ne dépendait pas du régime de la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) mais du Régime Social des Indépendants (RSI). Contacté par Doctissimo, le médecin conseil national du RSI, le Dr Pascal Perrot, avoue avoir été contacté tardivement et avoir décidé, suite aux arguments cliniques avancés par l’oncologue, de rembourser à titre dérogatoire le traitement "pour qu’il n’y ait pas de rupture de prise en charge". Les modalités de financement sur le long terme restant à discuter avec la clinique.

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    Ce cas particulier suscite de nombreuses interrogations sur la prise en charge des traitements du cancer et leur mode de remboursement.

    Pourquoi l’Avastin © n’est plus pris en charge dans cette indication ?

    Faisant partie des traitements innovants et très onéreux, l’Avastin ® est délivré sur prescription hospitalière et bénéficie d’un mode de remboursement dérogatoire appelé "liste en sus". Ce mode de remboursement a été mis en place pour permettre un accès rapide aux dernières innovations thérapeutiques pour les patients. Pour simplifier, le principe est que les hôpitaux peuvent délivrer ce médicament sans que cela soit imputé à leur budget global, il sera directement remboursé par la Sécurité sociale. Mais cette liste en sus est régulièrement révisée. C’est ce qui s’est passé pour ce médicament. En avril 2016, la Haute Autorité de Santé (HAS) a jugé que le "service médical rendu par l’Avastin associé à une chimiothérapie orale (capecitabine) était insuffisant pour une prise en charge par la solidarité nationale. Elle a donné un avis défavorable à la prise en charge à l’hôpital"1. Suite à cet avis, il disparaît de la liste en sus pour cette indication en septembre 20162.

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    Donc, ce n’est pas le médicament qui est déremboursé mais l’usage de ce médicament associé à certaines chimiothérapies dans cette indication (cancer du sein métastatique). Selon la HAS, l’association Xeloda ©+Avastin© n’apporte pas de gain en survie globale ou en survie sans progression (temps de rémission).

    Cette situation n’est pas propre à la France, les autorités américaines ont retiré l’autorisation de mise sur marché (AMM) d’Avastin ® en association au paclitaxel dans le cancer du sein métastatique en 2011. Et l’Avastin ® en association à la capecitabine n’a pas d’autorisation de mise sur le marché aux Etats Unis. L’Avastin ® reste cependant indiqué et remboursé contre les cancers du côlon et du poumon.

    Quelle prise en charge proposer aux patients dont les médicaments sont "déremboursés" ?

    Dans le cas de Leslie Salut, l’Assurance maladie a donc appliqué la décision de non-remboursement. Pour bénéficier d’une "prise en charge remboursée", la patiente aurait dû passer sous un autre traitement. De son côté, l’oncologue et sa patiente attestent que les résultats de sa prise en charge sont bénéfiques. Le docteur Mouysset déclare ainsi "Aujourd’hui, on sait que le cancer nécessite un traitement personnalisé, que tout le monde ne réagit pas de la même manière aux traitements. Les études évaluent un médicament dans le cadre d’un essai clinique, les résultats dans la vraie vie peuvent être réellement différents d’un patient à l’autre, d’une prise en charge à l’autre".

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    Seule possibilité pour ce type de cas faute d’une continuité des soins prévue dans les textes3 : passer à un autre traitement, demander à l’hôpital de payer ou demander une dérogation au service de couverture maladie dont dépend le patient. Une aberration pour le Dr Mouysset qui regrette l’absence d’interlocuteur pour ces cas particuliers. Il aimerait qu’une commission pluridisciplinaire puisse statuer sur ces cas pour lesquels les résultats cliniques contredisent les évaluations de cohorte. "Au-delà d’une logique comptable, il apparaît urgent de replacer le bénéfice pour le patient au cœur du système. Sinon, on aura de plus en plus de cas similaires pas uniquement pour le cancer du sein, mais aussi pour d’autres cancers comme c’est déjà le cas avec l’Abraxane ® pour le cancer du pancréas métastatique qui a une AMM depuis 2007 mais n’est pas remboursé, le Javlor ® pour le cancer de la vessie métastatique sorti de la liste en sus avant d’y revenir…" conclut-il.

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    Pour l’Avastin ® associé à la capécitabine, pour l’Abraxane, pour le Javlor ®, un médecin peut prescrire le médicament mais l’hôpital qui le délivrerait ne serait pas remboursé. Compte-tenu des finances des établissements hospitaliers, la réponse des établissements est rarement positive. Les caisses d’assurance maladie ne prennent pas en charge ces cas, sauf acceptation d’un régime dérogatoire. "Le buzz médiatique autour du cas de Leslie a très certainement participé à l’acceptation de son dossier, mais pour les autres patients dans le même cas – les cancérologues ont des dizaines de cas - je ne vois pas d’autres solutions que de chercher à se payer le traitement eux-mêmes" estime le Dr Mouysset.


    Sources

    1 - Synthèse d’avis de la commission de la transparence avastin (bevacizumab), anticorps monoclonal - cancer du sein – HAS– avril 2016 (accessible en ligne)

    Au-delà de son association avec la chimiothérapie orale (capecitabine), le service médical rendu par Avastin en association au paclitaxel est jugé "faible" : pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) par rapport au paclitaxel seul dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer du sein métastatique en 1ère ligne. Mais compte tenu de l’efficacité modeste observée sur la survie sans progression, sans impact démontré sur la survie globale (résultats non significatifs dans les essais cliniques randomisés), la HAS avait donné un avis favorable au maintien de la prise en charge à l’hôpital. Il a cependant été retiré de la liste en sus avec une continuité des soins prise en charge pour les patients déjà sous traitement.

    Les indications pour la liste en sus n’ont été mises en place qu’en 2014.

    2 - JORF n°0179 du 3 août 2016 - texte n° 23  -Arrêté du 29 juillet 2016 portant radiation de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

    3 - INSTRUCTION N° DGOS/PF2/DSS/2016/267 du 30 août 2016 relative à la radiation d’indications thérapeutiques d’AVASTIN® bevacizumab de la liste en sus et aux modalités d’accompagnement financier dans ces indications (accessible en ligne)

    Le cas de l’Avastin ® dans cette indication et en association avec la capecitabine est assez exceptionnel puisqu’il continue d’avoir une AMM pour le cancer du sein métastatique mais n’est plus remboursé, car les autorités de santé jugent qu’il n’apporte pas de bénéfices. Le remboursement des patients déjà sous ce traitement (continuité du financement des soins) n’est pas prévu par le Ministère de la Santé "car son service médical rendu est insuffisant".

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