Le brown-out ou quand le travail n’a plus de sens
En France, 54 % des travailleurs se disent démotivés ou désengagés par leur travail. Si tout le monde a entendu parler du burn-out causé par une surcharge professionnelle, voire du bore-out engendré au contraire par un manque d’activités, la question du manque de sens, ou brown-out, se révèle aussi être une source de grande souffrance. Spécialiste des pathologies liées au travail, le Dr François Baumann nous explique les traits de ce syndrome et les pistes pour s’en sortir.
Qu’est-ce que le brown-out ?
L’expression brown-out, dont la traduction littérale est "baisse de courant", est née aux Etats-Unis il y a environ 4 ou 5 ans. A la même époque, les spécialistes du monde du travail analysaient le phénomène des bullshit jobs, autrement dit, des "jobs à la con". Frôlant parfois l’absurde comme dans un roman kafkaïen, ces métiers peuvent conduire les travailleurs dans des états graves, allant de la dépression jusqu’aux envies suicidaires.
Plus la sphère professionnelle occupe une place centrale dans la vie de l’individu, plus la remise en question du sens d’un emploi s’avère déstabilisante. Une réalité qu’observe de plus en plus le Dr François Baumann dans son cabinet. "Faire tous les jours un travail auquel on ne croit plus est épuisant intellectuellement. C’est une vraie usure. Je trouve que les mots de Camus reflètent très bien cet état lorsqu’il parle d’une ‘‘lassitude teintée d’écœurement’’", rapporte-t-il.
Les causes du brown-out
Manque de reconnaissance par la hiérarchie, conflit éthique avec les pratiques de l’entreprise, promesse d’une promotion qui n’arrive jamais, incompréhension de son rôle dans la société... Les racines du mal sont multiples. "Elles sont autant à trouver du côté de l’individu, puisque chacun possède sa propre sensibilité, que de celui de la société, avec le phénomène d’accélération du temps mais aussi le manque de bienveillance en entreprise", analyse le médecin.
Les personnes évoluant dans les métiers dits de vocation sont encore plus sujettes au brown-out puisque leurs attentes peuvent être déçues par la réalité de l’exercice de leur métier. Ce fut le cas de Mélanie, 34 ans, infirmière depuis plus de dix ans. Le désenchantement commença dès ses premiers stages : une hiérarchie peu à l’écoute, un manque de reconnaissance, des cadences infernales, un non-respect des lois bioéthiques.... "Lorsque l’on voulait bien faire les choses, on était mal vu. Si je faisais des heures supplémentaires, ma hiérarchie me disait que c’était parce que je le voulais bien et que je prenais trop de temps avec certains patients. Lors des réunions normalement consacrées aux patients, on parlait la moitié du temps des économies possibles pour rentabiliser l’hôpital. J’ai très régulièrement pensé à changer de métier", témoigne la jeune femme.
Les symptômes du brown-out
De la même façon que le burn-out, le brown-out s’installe de manière insidieuse jusqu’à la rupture. Le Dr Baumann nous explique que le tableau clinique ne suit pas une chronologie particulière. Les symptômes vont de l’épuisement physique jusqu’à l’impossibilité de se lever un matin. On retrouve aussi des crises de larmes qui semblent surgir sans raison, un profond sentiment de déception, des insomnies, douleurs psychosomatiques (maux de ventre ou de tête...). "Les patients ne font pas forcément immédiatement le lien avec leur travail. Malheureusement, si on laisse les choses s’envenimer, cela peut aller jusqu’à la dépression, des envies suicidaires, voire des passages à l’acte", rapporte le spécialiste.
De son côté, Mélanie a eu le sentiment de frôler le point de rupture. Tantôt sujette aux insomnies, tantôt incapable de retrouver de l’énergie même après une nuit de 8H, l’infirmière a aussi observé une prise de poids et des conduites addictives. "Je me suis rendue compte que je consommais plus d’alcool que d’habitude. Lorsque je rentrais du travail, j’avais besoin de déconnecter", se souvient-elle.
Quelles solutions pour s’en sortir ?
Dans le cas de Mélanie, plusieurs éléments lui ont permis de tenir et de continuer à exercer sa profession. D’abord, observer que certains établissements partageaient la même philosophie qu’elle. Ensuite, pouvoir changer facilement de service ou d’établissement. Mélanie a aussi mis des mots sur ses souffrances et questionnements avec l’aide d’un psychothérapeute. "Aujourd’hui, je lance mon cabinet en temps qu’infirmière libérale. Même si je reste soumise à certaines contraintes, je pense pouvoir faire les choses davantage à ma façon. Et puis j’ai changé mon hygiène de vie : j’habite à la campagne, je fais beaucoup de randonnées avec mon chien, je dors plus et surtout, je fais du yoga, une vraie révélation pour moi", raconte-t-elle.
De son côté, le Dr Baumann nous indique la marche à suivre.
- La première étape consiste à aller voir son médecin traitant pour demander un arrêt de travail. "Le brown-out nécessite plusieurs mois d’arrêt. S’éloigner du travail va déjà procurer un mieux-être. Le médecin pourra prescrire des antidépresseurs ou neuroleptiques, mais il ne s’agit que de béquilles", affirme-t-il.
- La seconde étape se passe chez le médecin du travail, qui devra à son tour se mettre en relation avec les Ressources Humaines de l’entreprise, afin d’essayer de trouver un poste plus épanouissant, et d’aménager une reprise en douceur. "Cette reprise ne sera possible que quand le salarié pourra parler de son travail avec un certain recul, sans s’effondrer", préconise-t-il. Bien entendu, parler à un professionnel sera essentiel pour aller de l’avant.
De son côté, le Dr Baumann utilise la psychothérapie ainsi que les thérapies cognitives et comportementales. "Il est essentiel de ne pas rester seul face à son angoisse. Bien souvent, l’entourage ne comprend pas cette souffrance. Je tente d’aider les individus à retrouver des éléments positifs dans leur travail pour leur donner plus d’importance", poursuit le médecin. Parfois, lorsque ce sont les valeurs de l’individu qui sont touchées et que celles-ci ne peuvent pas être revues à la baisse, la démission peut s’avérer être la seule solution. C’est notamment le cas dans les conflits éthiques.
Enfin, parce que la prévention demeure le maître mot, le Dr Baumann invite chacun à travailler ses liens sociaux pour ne pas rester seul mais aussi à ne pas donner une place trop centrale au travail pour trouver d’autres repères. Activités physiques, passions manuelles... "Je trouve essentiel que chacun développe ses capacités en dehors du travail, cela permet de mieux amortir les chocs engendrés par la société", conclut-il.