L'IVG en France est-elle menacée ?
Votée en 1974, la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) a constitué une avancée majeure pour les femmes. Un certain nombre de spécialistes s'émeuvent cependant de sa fragilisation récente et mettent en garde contre une atteinte au droit des femmes de disposer de leur corps.
En 2016, 211 900 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en France, dont 197 800 en Métropole. Leur nombre est en légère baisse pour la troisième année consécutive, selon une étude de la DREES.
Les Françaises mal informées en matière de contraception
En France, en 2106, 71,9 % des femmes sont concernées par la contraception. Mais alors que la contraception est largement diffusée, le recours à l'IVG reste élevé, avec un taux de 13,9 IVG pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans en Métropole et de 25,2 dans les départements et régions d’outre-mer (DROM). Pourtant, l'accès à la contraception est de plus en plus facilité, notamment pour les mineures.
Pour le Pr Nisand, responsable du pôle de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg "le tabou qui entoure en France la sexualité des adolescents traduisent le manque de volonté politique en matière d'éducation des jeunes à la contraception. Il n'y a pas de volonté politique de protéger et d'informer nos jeunes qui s'imaginent que la pilule donne le cancer, rend stérile et fait grossir, qui pensent que le préservatif est un moyen efficace à 100 %", s'emporte-t-il, dénonçant la non-application de la loi qui prévoit des séances d'éducation sexuelle en cours au collège et au lycée.
L'IVG, un acte pas banal dont l'accès doit être banalisé
Si l'information pour prévenir les grossesses non désirées et limiter le recours à l'IVG doit être renforcée, l'amélioration de la prise en charge doit l'être également. Plusieurs progrès notables ont été réalisés au cours des dix dernières années :
- Report du délai légal à 14 semaines d'aménorrhée contre 12 auparavant
- Autorisation des IVG médicamenteuses en médecine de ville et par les sage-femmes
- Assouplissement du régime d'autorisation parentale pour les mineures
- Suppression du délai minimal de réflexion d’une semaine pour le recours à l'IVG
- Suppression de la notion de détresse des conditions de recours à l’IVG
- Elargissement de la loi sur le délit d'entrave à l'IVG à l'accès à l’information sur l'IVG
Or, seule une bonne information peut permettre aux femmes "d'avoir le choix d'une IVG comme elles le souhaitent et non comme les médecins le souhaitent", estime le Pr Nisand. Un avis que soutient le Dr Brigitte Letombe, gynécologue et présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (Lille) : "Si l'acte d'IVG ne doit pas être banalisé, il est temps que son accès le soit".
La crainte d'une restriction de l'accès à l'IVG
Pour le Pr Israël Nisand, ces divers éléments montrent que le droit à l'IVG est de plus en plus menacé. "Les jeunes considèrent que ce droit est acquis alors que nous assistons à une régression quant à l'accès aux soins et donc aux droits des femmes à disposer de leur corps". Et Nathalie Bajos d'ajouter : "Si le droit à l'IVG est largement acquis en France, aussi bien par les hommes que par les femmes, c'est la légitimité de se trouver en situation de devoir y recourir qui est en danger".
Cette crainte est confirmée par plusieurs signaux allant dans ce sens, selon le Pr Nisand. Et ce dernier de citer :
- la fermeture de centres d'orthogénie ou la mise en place de restrictions par certains établissements ("certains établissement refusent de pratiquer des IVG chirurgicales, d'autres encore n'ont pas les moyens d'accueillir les femmes en demande d'IVG")
- le déficit de formation des médecins à la pratique de l'IVG ("Dans dix ans, il n'y aura plus assez de médecins pour faire des IVG en France").
"Nous sommes en train de revenir doucement sur le droit des femmes à disposer de leur corps par des limitations des moyens matériels", s'inquiète le gynécologue. Face à ce danger, il appelle les femmes à se mobiliser pour défendre ce droit fondamental.