Don de gamètes : L'Académie de médecine contre la levée de l'anonymat
L'Académie de médecine s'oppose fermement au projet de loi relatif à la bioéthique qui prévoit de lever l'anonymat des donneurs de gamètes. Doctissimo vous expose ses arguments.
Pour l'Académie de médecine, donner aux enfants issus d'un don de gamètes la possibilité de connaître l'identité de leur géniteur risque d'avoir les effets inverses de ceux avancés, à savoir un renforcement du secret de l'origine et le développement de filières clandestines.
Lancée en 2006 par Valérie Pécresse, cette proposition de loi fait l'objet d'un examen à l'Assemblée nationale, dans le cadre des révisions des lois de bioéthique. L'Académie de médecine la juge "incohérente et inadaptée" et compte le faire savoir lors de la prochaine commission à l'Assemblée.
Une démarche d'aide et non de paternité
Depuis 1973, environ 7 000 enfants sont nés grâce à un don de sperme. Récurrente, "la question de la levée de l'anonymat du donneur réapparaît à chaque fois que l'on discute des révisions des lois de bioéthique", souligne le Pr Roger Henrion, gynécologue-obstétricien et président de l'Académie de médecine. Censée permettre "une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant et responsabiliser le don", selon le communiqué du conseil des ministres, cette proposition suscite la colère des membres de l'Académie de médecine, qui juge les arguments irrecevables : "Les donneurs sont très responsables, réfléchis, d'autant qu'ils ne font pas cela pour de l'argent". Se disant favorables à l'accès à ses origines, qui selon eux ne se réduisent pas au seul lien génétique, ils s'inquiètent de ce que le texte ignore le donneur, souvent père par ailleurs. "Généralement, ce dernier ne s'inscrit pas dans une démarche de paternité, mais dans la démarche d'aider des couples", souligne le Dr Pierre Jouannet, spécialiste de la biologie de la reproduction.
Le groupe de travail de l'Académie de médecine qui a réfléchi à l'ensemble des problèmes soulevés par l'accès aux origines a analysé chacun des trois articles sur lesquels portent les modifications. Et les démonte un à un.
La levée de l'anonymat va renforcer le secret
Les exemples européens tout d'abord. "L'étude évoque une tendance à la levée de l'anonymat. Cependant, les pays où la loi maintient l'anonymat du don comme le Portugal, l'Espagne, la Grèce, la Russie, etc. ne sont pas cités. Sur 35 pays disposant d'une réglementation en la matière, seuls 10 (29 %) prévoient que les données identifiantes concernant les donneurs puissent être transmises aux enfants". En outre, la situation n'est souvent pas comparable à celle de la France, puisque dans la plupart de ces pays, l'assistante médicale à la procréation (AMP) avec don de sperme est accessible aux femmes seules ou homosexuelles où "l'AMP conduit à créer une famille sans père".
Premier pays à s'être prononcé dans les années 1980 pour l'obligation du donneur à divulguer son identité, l'Allemagne de l'Ouest en a vu immédiatement les conséquences : les demandes auprès des centres d'AMP ont chuté, et les réseaux clandestins se sont développés. Autre exemple, celui de la Suède, où une telle loi a été appliquée en 1985. "Pas un seul enfant n'a souhaité rencontrer le donneur", assure le Dr Jouannet. Au final, nombre de couples se sont tournés vers l'étranger où l'anonymat était de rigueur, et la grande majorité n'a pas souhaité informer son enfant des circonstances de sa conception. Pour le spécialiste, "la loi a renforcé le secret et créé une situation de blocage".
Autre argument invoqué, celui selon lequel l'accès aux données non identifiantes peut s'avérer indispensable en cas de nécessité thérapeutique. "L'accès aux données d'intérêt médical n'a jamais posé de problème depuis la création des Centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS)", affirme le Pr Jouannet. "En outre, avec les technologies dont nous disposons, il est désormais possible de rechercher des molécules sur de l'ADN qui aurait été conservé. On peut donc avoir accès aux données médicales sans lever l'anonymat", assure-t-il. En outre, poursuit-il, "les enquêtes génétiques menées avant le don suffisent à ce jour à éviter la survenue des maladies majeures ultérieurement". Et d'ajouter : "Je pense que les précautions prises sont supérieures à celles qui existent lors d'une rencontre naturelle".
Pourquoi restreindre au donneur le choix des données à ne pas divulguer ?
Par ailleurs, le projet de loi prévoit que seuls les médecins et les enfants à leur majorité aient accès aux données non identifiantes. Or, "si ces données étaient vraiment indispensables au développement de l'enfant, elles devraient pouvoir être données aux parents, s'ils pensent qu'elles peuvent aider leur enfant dans son développement avant ses 18 ans", argumentent les Académiciens. Ces derniers s'interrogent également sur la possibilité accordée au donneur de s'opposer à divulguer certaines des informations dont la liste est fixée par arrêté, portant sur son âge, son état de santé, ses caractéristiques physiques, sa situation familiale et sa catégorie socioprofessionnelle, sa nationalité et les motivations de son don. "Pourquoi de telles restrictions ? Pourquoi ne pas laisser la liberté au donneur de divulguer les informations qu'il souhaite ? Prévoir que ces données soient listées dans un arrêté ministériel paraît donc inadéquat". Les membres de l'Académie ne comprennent pas davantage la mise à l'écart des conjoints, qui doivent donner leur accord lors du don mais dont il n'est plus question lors de la levée de l'anonymat.
Les membres de l'Académie relativisent par ailleurs l'argument selon lequel les personnes ignorant leur origine pourraient être confrontées à des problèmes de consanguinité. "S'il naît chaque année 1 500 enfants conçus par don de gamètes, de 15 000 à 17 000 enfants sont chaque année déclarés de père inconnu selon une enquête Ined *. Sans compter les enfants dont le père déclaré ou présumé par le mariage n'est pas le père biologique, dont on estime qu'ils représentent environ 7 % des naissances annuelles soit au moins 50 000 enfants par an".
Le donneur devrait pouvoir contrôler le nombre d'enfants conçus à partir de ses gamètes
Dernier point, et non des moindres, l'Académie de médecine estime que "le donneur devrait avoir la liberté de contrôler le nombre d'enfants conçus à partir de ses gamètes (dans la limite de 10)", une disposition qui serait plus en accord avec la volonté gouvernementale de responsabiliser le don, soulignent, non sans une certaine ironie, les membres du groupe de travail. C'est déjà le cas en Angleterre, mais avec comme contrepartie un manque de dons par rapport à la demande.
Le projet de loi envisage la création d'une structure semblable au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), dont l'un des rôles serait d'organiser la rencontre entre le demandeur et le donneur. "Il s'agit d'une mission extrêmement délicate, qui ne pourra pas être confiée à des administratifs simples. Or, la composition de la commission ne prévoit pas de pédopsychiatre, ce qui sera un handicap majeur notamment pour assurer l'accompagnement des demandeurs", souligne le Pr Henrion. De plus, poursuit-il, cet accompagnement ne devrait pas se limiter au seul demandeur mais concerner aussi ses parents ainsi que toute personne susceptible de subir des dommages collatéraux. Dans ce cas, "pourquoi ne pas renforcer le CNAOP plutôt que de créer une autre structure ?", s'interroge-t-il.
NON aux régimes, OUI à WW !
Des doutes quant à la souffrance des personnes conçues par don de gamètes
Plus globalement, les membres de l'Académie mettent quelque peu en doute la détresse psychologique liée à la non connaissance de l'identité de son géniteur mise en avant par les défenseurs de la levée de l'anonymat. Selon eux, l'expérience des CECOS montre que moins de 25 personnes ont cherché à prendre contact en vue d'une information sur leur géniteur au cours des 15 dernières années. "Seule une minorité d'enfants nés ainsi et dont les cas ont été médiatisés pensent que connaître l'identité du donneur va régler leur problème d'identité, mais c'est loin de concerner la majorité", insiste le Pr Jouannet. Une étude est actuellement menée par l'association Pauline et Adrien qui regroupent des couples ayant eu recours à l'AMP.
L'Académie de médecine recommande donc d'approfondir les conséquences de la levée de l'anonymat, notamment en interrogeant l'opinion des personnes concernées (couples demandeurs, donneurs, enfants conçus par don de gamètes). Elle préconise également de mener des études psychologiques auprès des personnes exprimant une souffrance de manière à mieux cerner l'origine de cette souffrance et enfin d'ouvrir un débat de société sur la question essentielle de la filiation. Car selon elle, la loi est trop réductrice par rapport à ce qui la fonde : "les origines d'un enfant sont celles de sa conception, de ses parents qui ont voulu qu'il soit vivant".
* Munoz-Perez F. Et Prioux F. - La population de la France, évolution démographique depuis 1946, CUDeP édit.2005, p. 333.
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