11 septembre : l'Amérique toujours sous le choc
Un an après les attentats du 11 septembre, les blessures psychologiques sont toujours vives chez les Américains. Ont-ils réussi à surmonter leurs traumatismes ? Quels changements ont entraîné ces événements ? Pour le savoir, Doctissimo a interrogé la psychologue américaine Rona Fields, membre de l'American Psychological Association. Spécialiste des questions de terrorisme, de prise d'otages et de violence, elle est l'auteur de plusieurs ouvrages sur ces sujets.
Doctissimo : Quels sont les principaux traumatismes psychologiques rencontrés par les habitants de Manhattan après les attentats de 11 septembre 2001 ?
Rona Fields : Le principal problème rencontré est le syndrome de stress post-traumatique (PTSD). Selon les études menées sur les résidents de Manhattan, ce syndrome est extrêmement répandu. Les services de santé mentale ont énormément de travail à New York et il en est de même dans beaucoup d'autres Etats. Malheureusement à Washington DC où je vis et travaille, aucun soutien spécifique n'est mis en place pour les personnes les plus durement affectées. En attendant, les victimes dépendent de la prise en charge proposée par leurs assurances privées, généralement liées à l'emploi. Les soins sont donc très hétérogènes. A Washington par exemple, les ouvriers postaux ont été parmi les plus éprouvés. Ils ont certes bénéficié de services et de programmes d'évaluation, mais les attaques à l'anthrax qui ont suivi ont contraint l'administration à les transférer dans des bureaux éloignés. C'est une nouvelle cause d'angoisse qui s'ajoute au sentiment de vulnérabilité, dont personne ne s'est soucié.
Doctissimo : Quels sont les Américains les plus touchés ?
Rona Fields : Les enfants sont plus affectés, notamment parce qu'ils ne savent pas quelles questions poser. Certains groupes ethniques sont également plus touchés. La majorité de la population de Washington est Noire américaine. Comme beaucoup d'autres minorités (réfugiés d'Asie et d'Amérique centrale) ils ont déjà été traumatisés par la violence, la terreur politique. Cela les rend souvent plus vulnérables. Sans compter qu'ils sont souvent employés par l'administration et que nombre de postes fédéraux sont menacés par les réorganisations qui font suite à la nouvelle législation en suspens pour la "Sécurité de la Patrie". Une situation qui renforce le stress et rend l'accès aux traitements plus difficile.
Doctissimo : Les Américains et notamment les habitants de Manhattan souffrent-ils encore aujourd'hui de troubles psychologiques ?
Rona Fields : Dans tout le pays, depuis le 11 septembre 2001, les gens ont subi à plusieurs reprises des alertes aux attentats. Ajoutez à cela la perte de centaines de milliers d'emplois et l'incertitude sur certaines institutions démocratiques, il y a une base réelle pour l'inquiétude et le stress permanent ! De nombreux américains font face à des problèmes de comportement, des difficultés de concentration, un manque d'attention, une hausse de l'irritabilité… De plus, la xénophobie est plus importante. Le stress prolongé lié à la peur est à l'origine d'un "fractionnement" de la population en sous-groupes. Sans compter bien sûr la démocratie qui est affaiblie : liberté de choix et de parole diminués. Et ces changements vont certainement durer très longtemps. Selon des études des descendants de survivants à l'Holocauste, l'impact de traumatismes peut être transmis à la génération suivante.
Doctissimo : Les mentalités ont-elles changé ?
Rona Fields : Les mentalités ont fortement évolué aux Etats-Unis. De nombreuses personnes sont aujourd'hui prêtes à sacrifier leurs droits fondamentaux et leurs garanties constitutionnelles pour "la sécurité". L'apparition croissante de patriotisme et la déférence à l'autorité présidentielle cachent une profonde inquiétude.
Doctissimo : Existe-t-il une différence entre les séquelles psychologiques liées à un acte terroriste et celles liées à une autre catastrophe ?
Rona Fields : A l'inverse d'une catastrophe naturelle, dans le cas du terrorisme, c'est un ou plusieurs hommes qui est directement responsable du drame, et les conséquences sont donc très différentes. Comme pour la guerre, il y a un accroissement de la xénophobie, une hausse des incertitudes face à l'avenir. Mais à la différence de la guerre, nous avons subi un état d'urgence national, sans aucun moyen d'empêcher ou de prévenir les menaces. Je pense que l'on peut comparer ces conséquences à long terme avec le cas des Français qui ont subi l'occupation Nazie ou encore les attentats, principalement à Paris, qui ont accompagné les mouvements de libération de l'Algérie.