Résistance aux antibiotiques : il faut changer les comportements (Juillet 2000)
Le problème des bactéries résistantes aux antibiotiques est devenu de plus en plus important ces dernières années. Le professeur Daniel Floret, professeur en pédiatrie et chef du service des urgences et réanimations pédiatriques à l'hôpital Edouard Herriot de Lyon, nous précise les mécanismes d'apparition des résistances et met en cause les prescriptions abusives, dans les crèches notamment.
Doctissimo : Pour l'organisation mondiale de la santé, les antibiotiques risquent de ne plus être efficaces d'ici 20 ans, à cause de l'apparition croissante de résistances chez leur cible, c'est-à-dire les bactéries. Que pensez-vous de cette annonce ?
Pr Floret : Cette prédiction est quelque peu alarmiste. L'apparition de résistances à un antibiotique chez les bactéries est un phénomène normal. Quelques années après la découverte du premier antibiotique, la pénicilline, des germes résistants sont apparus. Depuis, il y a une course contre la montre entre l'apparition de résistances chez les bactéries et la découverte de nouveaux antibiotiques par l'industrie. Mais rien ne permet de penser que nous allons perdre cette course. Jusqu'à présent, l'industrie à toujours eu une longueur d'avance, même si certaines bactéries peuvent causer quelques soucis. Ce qui a accentué le problème, c'est l'usage irraisonné des antibiotiques depuis plusieurs années. On peut espérer que ce phénomène va diminuer grâce à une meilleure éducation à la fois des médecins et des familles.
Doctissimo : Vous dites que l'apparition de résistances entraîne la nécessité de découvrir en permanence de nouveaux antibiotiques. La recherche pharmaceutique gardera-t-elle indéfiniment une longueur d'avance ?
Pr Floret : Le nombre d'antibiotiques n'est certainement pas illimité, mais les possibilités sont néanmoins grandes. On arrive certainement au bout des familles d'antibiotiques actuelles mais il existe toute une série de familles possibles qui n'ont pas encore été explorées. Nous ne sommes pas encore le dos au mur, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas être vigilant et qu'il ne faut pas lutter contre l'usage immodéré des antibiotiques.
Doctissimo : Cette augmentation du nombre de résistances risque-t-elle d'entraîner la résurgence de maladies disparues ?
Pr Floret : Les maladies d'origine bactérienne, telles que la tuberculose, la diphtérie, le tétanos ou la coqueluche n'ont pas disparu (ou vu leur incidence baisser) grâce aux antibiotiques. Ce sont principalement les campagnes de vaccination qui ont permis de les faire disparaître. L'augmentation du taux de résistances aux antibiotiques n'entraînera donc pas la résurgence de ces maladies.
Doctissimo : Comment lutter contre l'apparition de résistances aux antibiotiques ?
Pr Floret : Le principal problème est la prescription inadaptée : on continue de traiter de façon massive des maladies dont on sait pertinemment qu'elles sont dues à des virus. C'est inadmissible. Pourtant, une prescription adaptée, comme en Islande par exemple, permet de faire baisser fortement le taux de résistance.
Il y a également le problème de l'utilisation massive d'antibiotiques dans les élevages industriels. Ces traitements sont utilisés contre les épidémies dont l'évolution est favorisée par le rassemblement de milliers d'animaux. De plus, certains antibiotiques sont utilisés comme facteurs de croissance sur les animaux.
Cette utilisation provoque l'apparition de germes résistants qui peuvent être transmis à l'homme. Le problème a été constaté aux Etats-Unis : une variété d'entérocoques (bactéries de l'intestin) résistantes à la plupart des antibiotiques ont été trouvées chez des patients qui n'avaient pas reçu ce type de traitement. Cette résistance n'avait pu apparaître que chez l'animal et avant de passer chez l'homme par l'alimentation.
Il est normal d'utiliser des antibiotiques pour soigner les animaux malades, mais cette utilisation doit être contrôlée afin d'éviter les abus. C'est d'ailleurs le rôle de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
Doctissimo : Vous avez réalisé une étude sur l'apparition de germes résistants aux antibiotiques dans les crèches. Pourquoi s'intéresser particulièrement à ces établissements ?
Pr Floret : Lorsque les enfants sont en crèche, ils ont beaucoup plus d'infections, notamment d'origine virale, que ceux gardés à domicile. Or ces infections virales entraînent de manière systématique des prescriptions d'antibiotiques. Certains médecins en donnent à l'enfant dès qu'ils observent de la fièvre. De plus, les familles sont également responsables : les parents ont en général un problème de garde et souhaitent donc que leur enfant se rétablisse rapidement. A cause d'un manque d'information, ils demandent la prescription d'antibiotiques, pensant que leur enfant va guérir plus vite. En crèche, 70% des rhinopharyngites, atteinte d'origine virale, sont ainsi traitées par des antibiotiques. Cette utilisation massive fait apparaître chez certains enfants des germes résistants. Ceux-ci vont les transmettre aux autres enfants ainsi qu'a leur famille. La crèche devient ainsi un lieu d'apparition et de dissémination de bactéries résistantes aux antibiotiques.