Thérapies génique et cellulaire : rendez-vous dans dix ans
Spécialiste des questions bioéthiques, Jean-François Mattéi est professeur de pédiatrie et génétique médicale à l'Hôpital d'Enfants de la Timone à Marseille. En 1994, il était rapporteur des lois bioéthiques qui seront réexaminées en janvier 2002.
Doctissimo : L'actualité est riche en découvertes dans le domaine de la génétique. Quels sont les prochains progrès en vue ?
Pr Jean-François Mattéi : Les biotechnologies vont occuper une place importante. D'une part avec toutes les thérapies géniques et les diagnostics génétiques qui vont se perfectionner, et d'autre part avec la thérapie cellulaire et le concept de remplacement des cellules âgées et malades par des cellules jeunes et saines. Parmi les trois possibilités qui s'offrent aujourd'hui, à savoir les cellules embryonnaires, le clonage thérapeutique et les cellules adultes, je pense qu'il faut porter tous nos efforts dans le domaine des cellules souches d'origine adultes.
Doctissimo : On a le sentiment que tout va très vite, quels sont les obstacles qui demeurent ?
Pr Jean-François Mattéi : On a commencé à parler de thérapie génique aux alentours de 1985, et 16 ans plus tard nous n'avons eu qu'un seul vrai succès, celui d'Alain Fischer sur les bébés bulles (lire l'interview du Dr Cavazzano-Calvo).
Il faut se rappeler que les premiers essais pour le SIDA remontent à 10-12 ans. Entre le moment où émerge une nouvelle idée, il faut que la méthode soit développée, que la technique soit mise au point, que l'on fasse des essais et qu'enfin les malades puissent en bénéficier. Au bout du compte 10 ans se sont écoulés.
Réactiver la mémoire embryonnaire de cellules adulte n'est pas très simple à obtenir. Par exemple, il y a des cellules souches dans la moelle osseuse capables de régénérer tous les composants sanguins. Mais elles ne sont pas capables a priori de donner des cellules nerveuses ou hépatiques. La grande nouvelle c'est que l'on a obtenu une transdifférenciation c'est-à-dire qu'une cellule sanguine peut se différencier en cellule nerveuse. C'est une sorte de "remise à zéro" des compteurs permettant à la cellule de se multiplier en n'importe quel type de cellule. Mais naturellement, il faut contrôler les mécanismes, les induire, les réguler. Cela ne fait que deux ans que l'on travaille sur les cellules souches adultes, on voit le chemin qu'il reste à parcourir.
Doctissimo : Quels sont les bénéfices attendus ?
Pr Jean-François Mattéi : Dans un premier temps, ce sont les personnes dont la maladie est due à une anomalie de toute une population cellulaire qui vont en bénéficier. Par exemple, les diabétiques qui ne fabriquent pas d'insuline, les personnes atteintes d'Alzheimer dont les neurones se détériorent, les myopathes dont les cellules musculaires s'affaiblissent. Il sera possible de remplacer une population cellulaire malade par une population saine. Il est probable que l'on pourra également soigner les maladies sanguines comme les leucémies. A plus longue échéance encore, on pourra fabriquer des cellules qui auront pour cible des cellules cancéreuses.
Doctissimo : N'y-at-il pas un décalage entre la maîtrise d'une technique de pointe et la généralisation de son utilisation ?
Pr Jean-François Mattéi : Il est certain, que ces techniques seront, au début, extrêmement limitées parce qu'on va probablement prendre des cellules souches d'un malade pour les utiliser sur lui-même. Cela signifie que celui-ci devra être hospitalisé dans un établissement spécialisé et que les services maîtrisant cette haute technicité seront peu nombreux dans un premier temps. Les techniques ne devraient pas se généraliser avant 20 ans.