Deux équipes françaises viennent d'être honorées pour la mise au point d'une nouvelle famille d'agents antiviraux contre le sida. Grâce à son mode d'action original, cette découverte suscite de nombreux espoirs. Mais la prudence s'impose car aucun essai n'a encore été mené ni chez l'homme, ni chez l'animal.
Depuis le développement des trithérapies, la lutte contre le sida repose sur l'association de plusieurs médicaments aux modes d'actions différents. Dans ce contexte, l'arrivée de toute nouvelle molécule suscite d'incroyables promesses. La mise au point de substances dotées de propriétés originales par deux équipes françaises permettra-t-elle de faire reculer ce fléau ?
La protéine qui protège le virus
C'est par la voie fort peu académique du journal "La Provence" qu'Erwann Loret, chercheur au Laboratoire d'ingénierie des systèmes macromoléculaires du CNRS à Marseille et coordinateur des travaux, a dévoilé ses recherches. Pour trouver de nouvelles molécules antirétrovirales, les scientifiques ont ciblé certains éléments du cycle de réplication du virus du sida. Parmi les nombreuses cibles potentielles, la protéine Tat apparaît des plus prometteuses.
Non seulement, elle intervient dans la multiplication du virus mais également dans la propagation de l'immunodéficience et dans le développement de pathologies liées au sida, tel le syndrome de Kaposi.
Rendre inefficace cette protéine pourrait constituer une stratégie particulièrement intéressante, à la fois pour inhiber la multiplication du virus et pour renforcer l'efficacité des défenses de l'organisme.
Récemment, une équipe italienne est parvenue à guérir un singe infecté par l'équivalent simien du VIH, en utilisant un traitement dirigé contre la protéine Tat. Le premier vaccin anti-sida efficace sur les singes mis au point par la même équipe guidée par Barbara Ensoli repose également sur la protéine Tat. Infectés par un virus chimère (virus de l'immunodéficience simiesque avec l'enveloppe externe du virus HIV humain), 71 % des singes vaccinés n'ont pas, après trois mois, contracté l'infection. Néanmoins, quelques années seront nécessaires avant d'obtenir des résultats définitifs *.
Une nouvelle famille de molécules
En collaboration avec le laboratoire de synthèse organique du CNRS dirigé par Jacques Lebreton à Nantes, l'équipe d'Erwann Loret a développé une nouvelle famille de molécules : les TDS (Triphène Diméthyle Succinimide). Capables de se fixer de manière spécifique et irréversible sur la protéine Tat, elles l'inhibent. Ces résultats n'ont été obtenus que lorsque ces molécules sont étudiées en laboratoire et sur des cellules isolées.
Ce type de substances pourrait compléter l'arsenal des trithérapies anti-sida. Par rapport aux antirétroviraux existants, ces TDS pourraient avoir un autre avantage. Ils ciblent la protéine Tat, qui a la particularité de peu varier, contrairement à beaucoup d'autres protéines virales, comme la transcriptase inverse et la protéase, cibles des autres médicaments antirétroviraux.
Cette particularité pourrait limiter le développement de résistances, de plus en plus fréquentes. Enfin, des tests réalisés à l'Institut de recherche sur le cancer de l'Inserm à Lille et à l'Institut Pasteur à Paris ont montré que les TDS étaient actifs sur des protéines Tat de VIH, originaires aussi bien d'Afrique que d'Amérique ou d'Europe.
Un prix de 75 000 dollars pour les Marseillais
Le CNRS a déjà déposé des brevets internationaux pour protéger cette famille de molécules. Les efforts vont désormais se concentrer sur la production de TDS en grande quantité. Ensuite, si les tests de toxicité se révèlent rassurants, les premiers essais chez l'homme pourraient commencer dans deux ou trois ans, déclare-t-on au CNRS.
Pour couronner ces débuts bien orchestrés, le laboratoire américain Glaxo-Smith-Kline a décerné un prix international de 75 000 dollars à l'équipe d'Erwann Loret. Remis le 16 novembre 2001 par le Pr. Gallo, co-découvreur du virus du sida, ce prix a mis sur le devant de la scène des travaux qui restent très préliminaires.
En effet, les TDS synthétisés par les chercheurs français n'ayant encore jamais été testés ni chez l'animal, ni chez l'homme, il est impossible de prédire leurs effets thérapeutiques. Ces molécules seront-elles efficaces et bien tolérées une fois administrées dans les conditions cliniques ? Rien n'est moins sûr. De nombreuses substances sont régulièrement évaluées parce que leurs propriétés paraissent intéressantes en laboratoire, mais ne confirment jamais leurs promesses… Aussi, accueillons avec une grande prudence et beaucoup d'espoir l'annonce en fanfare de l'arrivée de cette nouvelle famille.
* Vaccine. 2001 Apr 6;19(20-22):2862-77.