Eau du robinet et plomb : un risque insignifiant ?
Le plomb dans les canalisations et dans l'eau potable est un problème qui revient régulièrement sur le devant de la scène. Mais pour Bernard Barraqué, spécialiste des politiques publiques de gestion de l'environnement, de l'eau et du bruit, l'ampleur que l'on donne à ce problème est disproportionnée. Il nous explique son point de vue.
Doctissimo : La nouvelle norme de plomb a été ramenée de 50 à 10 µg de plomb par litre d'eau pour 2013, avec une phase intermédiaire de 25 µg/litre dès 2003. Que pensez-vous de ces mesures ?
Bernard Barraqué : L'abaissement de la norme de plomb va coûter des sommes considérables, et pas uniquement à la France ! Au point que l'on se demande si on aboutira à autre chose qu'une culpabilisation générale. Il faudra dépenser entre 7,60 et 15 millions d'€uros (50 et 100 millions de Francs) dans les immeubles, et on est sûr de ne pas pouvoir tenir les délais avec une date butoir fixée en 2013. De plus la révision fait que la qualité de l'eau doit être garantie non plus à la sortie de l'usine, mais du robinet du consommateur.
Doctissimo : Vous estimez que l'eau joue un rôle négligeable dans le saturnisme domestique ?
Bernard Barraqué : J'estime que le risque de saturnisme par absorption d'eau du robinet est insignifiant. Le saturnisme domestique est uniquement dû aux peintures au plomb. Jusqu'à récemment, quand l'essence des voitures contenait du plomb, le taux dans le sang dû à l'ingestion par respiration était nettement supérieur à ce qu'on pouvait absorber par l'eau. Ce que l'on pouvait absorber par le robinet était donc indécelable. Conséquence : aujourd'hui on voit apparaître une différence de plombémie due à l'eau du robinet pour ceux qui ont des tuyaux de plombs. D'après les travaux de l'INSERM, cela concerne moins de 1 % des personnes et ne dépasse pas 100 à 200 µg/l de plomb dans le sang. Or dans les ouvrages récents de toxicologie clinique, les taux à partir desquels on pourrait envisager un risque de saturnisme sont autour de 800 µg/l de plomb dans le sang. Conclusion : c'est parce que l'établissement des normes se termine toujours par une division par 10 des seuils pour des raisons de précaution, qu'on est arrivé à baisser la norme du plomb dans l'eau et à entraîner des investissements à mon avis disproportionnés par rapport à l'ampleur du problème.
Doctissimo : La nocivité du saturnisme domestique a pourtant fait l'objet d'études…
Bernard Barraqué : En ce qui concerne le saturnisme des logements des personnes défavorisées, certains épidémiologistes ont déplacé le problème vers la supposée diminution de QI. Mais cette diminution est si faible en présence de tuyaux de plomb, que les corrélations laissent tout à fait dubitatif. Il faudrait sans doute davantage chercher des explications d'ordre sociologique sur les conditions d'habitat et d'éducation des couches sociales défavorisées.
Doctissimo : Jugez-vous alors que la suppression des tuyaux de plomb est inutile ?
Bernard Barraqué : En fait, je suis partisan de la suppression des tuyaux de plomb mais de façon "naturelle", comme cela se fait dans certaines villes de France où ils sont remplacés systématiquement pour les parties publiques des réseaux, de façon planifiée et non conflictuelle.