La mythomanie : comment les répérer ?
La mythomanie n'a pas encore livré toutes ses vérités à la psychiatrie, ce qui la rend d'autant plus intrigante pour les spécialistes. Ne pouvant supporter de faire face à la réalité, les mythomanes, ces personnalités hautes en couleurs, se plongent dans un monde de mensonges. Le Pr Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d'addictologie à l'Hôpital Bichat, nous apporte son éclairage.
Qu'est-ce que la mythomanie ?
Si l'expression "mytho" est utilisée à tout-va, il faudrait pourtant bien se garder de l'utiliser à tort et à travers. Dans la vie, tout le monde est amené à mentir, pour des raisons plus ou moins avouables : pour échapper à un dîner, nous sortir d'une situation embarrassante… Mais il ne s'agit alors que de "petits mensonges". Certains escrocs manient eux-aussi l'art du mensonge à la perfection pour parvenir à soutirer de l'argent à leurs victimes. Dans ces cas-là, on parle de "mensonge utilitaire".
Mais le mythomane n'est absolument pas dans cette configuration. Le premier à avoir décrit la mythomanie est un psychiatre du début du XXème siècle, Ernest Dupré, qui évoque une "impulsion narratrice, une envie de raconter quelque chose d'extraordinaire pour se rendre socialement intéressant", nous explique le Pr Lejoyeux.
Les différentes formes de mythomanie
Bien entendu, il existe différents degrés de mythomanie, mais la base reste toujours la même : "raconter des mensonges par plaisir" pour s'inventer une vie palpitante. Les mythomanes s'imaginent un passé d'héritier, une vie d'aventures, ou encore un job très haut placé. L'exemple le plus illustre est sans conteste l'histoire de Jean-Claude Romand, racontée par Emmanuel Carrère dans l'Adversaire. Cet ancien étudiant en médecine jamais diplômé prétendait travailler à l'Organisation Mondiale de la Santé et a trompé sa famille pendant 18 ans jusqu'à qu’à l’issue fatale… Alors que sa famille est sur le point de découvrir la vérité, il tue sa femme, ses enfants, ses parents et tente de se suicider.
Les mythomanes ont-ils conscience de leurs mensonges ?
C'est la question qui agite les spécialistes. Pour le Pr Lejoyeux, "le mythomane a conscience de ses mensonges, mais une conscience très réduite". Selon lui, ce ne sont pas des "menteurs cyniques". Dans le cas de Jean-Claude Romand, ce dernier a préféré assassiner ses proches et tenter de se suicider, plutôt que de faire face à la réalité. "Le mythomane ne supporte pas d'être confronté à ses mensonges. Il préfère alors en raconter d'encore plus énormes, mais ne revient jamais en arrière. Il est dans une perpétuelle fuite en avant" explique le spécialiste.
Des causes encore floues
Pour expliquer ce besoin incessant de s'inventer une autre vie, les spécialistes pointent un lourd déficit d'amour de soi. "On parle aussi souvent de traumatismes, notamment sexuels. Ces personnes ont eu besoin de se défendre dans l'oubli. On a également établi un lien avec la personnalité multiple : on pourrait imaginer que le mythomane ne ment pas complètement, et que ce sont ses différentes personnalités qui s'expriment successivement" avance le psychiatre.
Comment reconnaître un mythomane ?
Comme on l'a vu dans certains faits divers, les mensonges peuvent perdurer des années, portés par des êtres parfois particulièrement brillants et convaincants. Jean-Claude Romand donnait le change au sein de sa famille, à commencer par sa femme, elle-même pharmacienne. Malgré tout, la mythomanie peut être associée à d'autres comportements transgressifs au plan social, comme le vol. "On peut observer ce genre de choses lorsque le mensonge est révélé, et que la personne est dans une crise absolue. Cependant, ces personnes continuent à dire que leur histoire est vraie", affirme le Pr Lejoyeux.
Des patients difficiles à traiter
La mythomanie est une maladie qui nécessite l'expertise d'un psychiatre. Elle ne se traite pas avec des médicaments et mener un travail analytique est également compromis. "Tout le problème de la mythomanie est que les personnes concernées ne se reconnaissent pas comme malades, ce qui pose une vraie difficulté", explique le Pr Lejoyeux. "Cette maladie est compliquée à soigner, car la base de l'interaction sociale est basée sur le fait que l'on ne ment pas", explique le spécialiste. Ces histoires "pas simples" demeurent malgré tout extrêmement "fascinantes" pour les psychiatres qui continuent à explorer la maladie.