Santé mentale : en finir avec l’incroyable retard français
Schizophrénie, troubles bipolaires, dépression, autisme… les maladies psychiatriques représentent un enjeu majeur de santé publique, puisqu’elles touchent une personne sur 5. Mais à cause d’une terrible stigmatisation, d’un manque d’information et d’investissements des pouvoirs publics dans ce domaine, elles restent largement délaissées. A l’occasion de la Journée mondiale de la Santé mentale, l’Institut Montaigne et la Fondation FondaMental avancent des propositions concrètes pour en finir avec cet incroyable retard français.
Sans équivoque, le rapport intitulé "Prévention des maladies psychiatriques : pour en finir avec le retard français" plaide pour un renouveau dans la prise en charge de ces maladies.
Lutter contre la stigmatisation des maladies psychiatriques
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies mentales affectent une personne sur cinq chaque année et une sur trois au cours de sa vie ! Même si les données épidémiologiques manquent cruellement dans ce domaine, une large étude évaluait en 2011 que 38,2 % de la population européenne a souffert d’un trouble psychiatrique au cours de l’année écoulée, avec 6,9 % de dépression majeure, 14% de troubles anxieux généralisés, 1,2 % de troubles psychotiques et 0,9 % de troubles bipolaires2.
Mais cette fréquence élevée s’accompagne paradoxalement d’une terrible réputation, chargée de lourds stéréotypes (imprévisibilité, dangerosité…). Une catastrophe pour les patients qui souffrent en plus d’une baisse de l’estime de soi, d’un sentiment de honte, de stress, d’isolement, etc. ainsi que pour leur prise en charge : combien osent consulter ? Combien renoncent à leur traitement ?...
Pour lutter contre cette stigmatisation, l’Institut Montaigne et la Fondation FondaMental proposent que l’Institut national de prévention et d’éducation en santé (Inpes) prenne à bras-le-corps ce problème, en essayant de mieux comprendre les causes de ces stigmatisations et d’évaluer leurs impacts sur la vie des personnes concernées. Partant du principe que l’on a peur de ce que l’on ne connaît pas, l’Institut et la Fondation invitent l’Inpes à développer une plateforme d’information sur les pathologies mentales, ainsi que des programmes de sensibilisation à ces maladies destinés à des publics ciblés. Conduits dans les écoles et les universités, de tels programmes faisant intervenir les patients et leurs proches ont démontré leur efficacité à l’étranger.
Un diagnostic beaucoup trop tardif
Le diagnostic intervient beaucoup trop tardivement… Par exemple, il s’écoule aujourd’hui en moyenne 10 ans entre le premier symptôme d’un trouble bipolaire et le début du traitement. Pour l’autisme, l’âge moyen du diagnostic est de 5,5 ans quand la Haute Autorité de Santé (HAS) recommande qu’il ait lieu à 3 ans ! Ce retard pénalise la prise en charge qui est d’autant plus efficace qu’elle intervient dans les 5 premières années de la maladie. Résultat : le traitement est plus difficile… et plus coûteux.
Comment réussir un diagnostic plus précoce ? Encore une fois, cela passe par une meilleure information du grand public et en particulier chez les 15-25 ans3, la tranche d’âge qui connaît un pic d’apparition de ces troubles. L’institut Montaigne et la Fondation FondaMental préconisent ainsi des actions de sensibilisation et de prévention en milieu scolaire, universitaire et professionnels4.
Au-delà du manque connaissances et du refus d’admettre la maladie, le retard s’explique aussi par des délais de prise en charge beaucoup trop longs et une formation insuffisante des médecins de première ligne (le plus souvent les médecins généralistes). C’est l’organisation des soins qui est à améliorer. Et pour ce faire, le rapport recommande de renforcer la formation des médecins généralistes et de faciliter leur interaction avec les spécialistes de la psychiatrie. Par ailleurs, le modèle des Maisons des adolescents qui centralisent l’accès à l’information et aux soins doit être consolidé.
Réorganiser les soins en psychiatrie
Une fois le diagnostic posé, le patient n’a pas pour autant fini son "parcours du combattant". L’organisation de la prise en charge des maladies psychiatriques en France se caractérise par deux problèmes majeurs5,6,7 :
- Une grande disparité des soins courants souvent éloignés des recommandations internationales. A ce titre, le rapport recommande que la formation des psychiatres les intègre plus naturellement8 ;
- L’absence de dialogue entre la "médecine classique" (ou somatique) et la médecine psychiatrique. Ainsi les patients atteints de troubles psychiatriques sont plus fréquemment touchés par des problèmes cardiovasculaires, de surpoids, de diabète… mais ne bénéficient pas des traitements adéquats. Résultat : leur espérance de vie serait ainsi réduite de 10 à 20 ans.
Décloisonner les spécialités psychiatriques et somatiques en les rapprochant sur un même plateau technique ou via des réseaux de soins bien établis constitue une priorité soulignée par le rapport. A condition toutefois de ne plus demander à la psychiatrie générale de soigner toutes les maladies mentales (de la dépression à l’autisme en passant par la schizophrénie ou les troubles bipolaires). A l’instar de ce qui s’est passé dans d’autres spécialités médicales (cancer, maladies neurodégénératives…), des filières et des réseaux de soins spécialisés permettraient d’améliorer la prise en charge de ces patients.
Telles sont les propositions de l’Institut Montaigne et de la Fondation FondaMental qui demandent aux Agences régionales de Santé (ARS) de faciliter les liens de l’ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge de ces patients (du médecin généraliste jusqu’aux services de soins spécialisés en passant par les acteurs du médico-social) et d’affecter des moyens dédiés à la prise en charge des maladies somatiques chez les patients atteints de troubles psychiatriques.
Investir dans la recherche en psychiatrie est rentable
Dernier constat et pas des moindres : les maladies psychiatriques coûtent cher. Selon les rares estimations disponibles en France, les coûts associés aux maladies mentales représentent plus de 100 milliards d’euros par an, avec des coûts directement liés aux maladies mentales (dépenses de santé et de soins) mais aussi des coûts indirects (perte de qualité de vie et moindre productivité des entreprises due à une participation à l’emploi plus faible des patients). Et si rien n’est fait, ces chiffres devraient continuer à progresser. Face à ce fléau, certains pourraient être réticents à investir dans la recherche. Pourtant, plusieurs études démontrent qu’un tel investissement est "rentable".
Une analyse menée en 2008 au Royaume-Uni démontre que les fonds publics investis dans la recherche en santé mentale ont un taux de rendement annuel de 37 % (c’est-à-dire qu’une livre investie rapporte un flux de bénéfices équivalent à un gain de 0,37 livre par an à perpétuité). Il s’agit du plus fort taux de toutes les pathologies9.
Mais aujourd’hui, les moyens consacrés à la recherche en psychiatrie en France sont ridiculement bas. Ils représentent 2 % du budget de la recherche biomédicale (21 millions d’euross) contre 7 % en Grande-Bretagne (131 millions d’euros) et 11 % aux Etats-Unis (3,9 milliards d’euros)10.
Depuis sa création, la Fondation FondaMental se bat pour que ces fonds soient augmentés. Seule la recherche permettra de mieux comprendre les causes et les mécanismes de ces maladies, l’identification de biomarqueurs et de facteurs de risque environnementaux modifiables ainsi que le développement d’innovations diagnostiques et thérapeutiques. Autant de moyens pour mieux lutter contre ces maladies et leur coût.
Au-delà d’une augmentation des financements de la recherche, l’institut Montaigne et la Fondation FondaMental souhaitent pour une plus grande transdisciplinarité entre psychiatrie, neurosciences et sciences humaines et sociales. Ces ponts se feront d’autant plus facilement que les psychiatres seront sensibilisés et formés à la recherche.
Doctissimo est fier de s’engager avec l’institut Montaigne et la Fondation FondaMental pour que la santé mentale soit demain mieux prise en compte en France. Au-delà de cette journée, nous continuerons à sensibiliser le grand public sur ces thématiques à travers notre site dédié aux maladies psychiatriques.