Cancer de la prostate : le traitement doit changer
Suite à plusieurs études internationales, le traitement du cancer de la prostate pourrait rapidement évoluer, avec un recours plus précoce à la chimiothérapie. Le point avec le Pr Karim Fizazi, oncologue spécialiste des tumeurs génito-urinaires et chef du département de Médecine Oncologique de Gustave Roussy (Villejuif).
Le traitement actuel du cancer de la prostate
En France, le cancer de la prostate touche 55 000 hommes chaque année. Il se développe à partir d’une cellule normale, qui se transforme et se multiplie de façon anarchique, formant une tumeur. Initialement de taille limitée, elle peut grossir et s’étendre au-delà de la prostate et à d’autres organes. Cette évolution est le plus souvent très lente, au point que la décision de traiter dépend également de l’âge du patient1.
Traitement des formes localisées de cancer de la prostate
Selon le Pr Karim Fizazi, oncologue spécialiste des tumeurs génito-urinaires, "Aujourd’hui, lorsque le cancer est localisé, le traitement est local et repose sur la curiethérapie, la radiothérapie ou la chirurgie, voire une simple surveillance active, qui permet régulièrement d’éviter un traitement inutile pour un cancer indolent. A l’inverse pour les formes les plus agressives, on associe une hormonothérapie au traitement local par la radiothérapie. Ces médicaments vont empêcher l’action stimulante de la testostérone sur le développement de la tumeur et de ses possibles métastases".
Traitement des formes métastatiques de cancer de la prostate
Une faible proportion (de l’ordre de 10 %) des cancers de la prostate sont découverts à un stade métastatique. "On traite jusqu’alors ces patients avec une hormonothérapie, la chimiothérapie étant limitée aux cancers métastatiques qui ne répondent plus à l’hormonothérapie. Elle vise alors à soulager les symptômes de la maladie et permet de prolonger la durée de vie des patients à ce stade" précise le Pr. Fizazi.
Depuis 2010, d’autres médicaments ont complété cette prise en charge : une nouvelle chimiothérapie, le cabazitaxel, des hormonothérapies de deuxième génération avec l’acétate d’abiratérone (Zytiga ®), l’enzalutamine (Xtandi ®), des traitements ciblant les métastases osseuses tels que le radium 223 (Xofigo ®)… qui ont permis d’augmenter la survie des patients résistant à une première hormonothérapie.
Enfin plus récemment, les experts tentent de savoir si un recours plus précoce à la chimiothérapie pourrait améliorer le pronostic des cancers d’emblée métastatiques mais aussi celui des cancers localisés à haut risque de récidive ou de métastases. Plusieurs études présentées cette année à lors du congrès international sur le cancer (ASCO 2015) pourraient faire évoluer la prise en charge du premier cancer masculin.
Cancers de la prostate métastatiques : la chimiothérapie doit être proposée d’emblée
De précédents travaux ont évalué l’intérêt de la chimiothérapie (docétaxel) pour les cancers de la prostate métastatiques non traités par hormonothérapie.
- D’une part, l’essai CHAARTED conduit aux Etats-Unis sur 790 hommes et rapporté lors du congrès de l'ASCO 2014 a montré un avantage en survie2. La survie moyenne était de 44 mois dans le groupe hormonothérapie contre 57,6 mois dans le groupe hormonothérapie +docétaxel. Un avantage encore plus marqué chez les 520 patients atteintes de maladie très avancée (respectivement 32,2 mois vs 49,2 mois).
- D’autre part, l’essai français GETUG-AFU 15 portant sur 385 hommes dont un suivi sur le long terme montre la même tendance (même si le gain en survie n’était pas statistiquement significatif, tandis que la survie sans progression du cancer était significativement améliorée par la chimiothérapie)3.
- Présenté lors du congrès 2015 de l’ASCO, l’essai STAMPEDE apporte des résultats inédits par l’ampleur de l’étude4,5. Cette étude porte en effet sur 2 962 hommes atteints de cancer métastatiques (60 %) ou d’un cancer non métastatique à haut risque (40 %)5. Elle confirme l’existence d’un réel bénéfice de l’ajout de la chimiothérapie non seulement en survie sans progression (période durant laquelle la maladie ne s’aggrave pas), mais également en survie globale. La survie globale était 10 mois plus longue chez les patients bénéficiant de la chimiothérapie en plus du traitement standard (67 mois contre 77 mois), soit une amélioration de 24 %. Pour les hommes atteints de cancers métastatiques, l’amélioration était même supérieure atteignant 22 mois (de 43 à 65 mois)6.
Selon les auteurs, ces résultats devraient changer les pratiques en ajoutant d’emblée le docétaxel au traitement standard pour les cancers de la prostate métastatiques nouvellement diagnostiqués, si l’état de santé du patient le permet. Un sentiment partagé par le Pr. Karim Fizazi : "C’est la troisième étude qui confirme la même tendance. On peut donc estimer que le nouveau standard des cancers métastatiques naïfs de traitement hormonal doivent bénéficier d’une chimiothérapie par docétaxel, indépendamment de la charge métastatique".
Le docétaxel augmente la toxicité du traitement, mais les effets secondaires ont été gérables même si les résultats sur la qualité de vie n’ont pas été présentés.
Faut-il proposer la chimiothérapie pour les cancers localisés à haut risque ?
Pour les cancers localisés à haut risque, l’étude STAMPEDE atteste d’une réduction du risque de rechute avec la chimiothérapie (principalement des rechutes biologiques, soit une augmentation du PSA) mais pas de données en termes de survie faute d’un suivi suffisamment long. Deux autres études présentées au moment du congrès de l’ASCO 2015 apportent des éléments de réponse.
- Coordonnée par le Pr Karim Fizazi, l’étude française GETUG 12 visait à déterminer l’impact d’une chimiothérapie avec un taxane lorsqu’elle est associée au traitement de référence, sur la survie sans rechute chez des patients atteints d’un cancer de la prostate localisé et à haut risque7. Au total, 413 hommes ont reçu soit le traitement de référence (le plus souvent une association hormonothérapie + radiothérapie locale), soit une chimiothérapie (docetaxel + estramustine) en plus du traitement de référence. Après 8 ans de suivi, la survie sans rechute est de 50 % pour le groupe traité par hormonothérapie seule contre 62 % pour le groupe qui avait reçu en plus une chimiothérapie, soit une réduction significative du risque de rechute de 29%. Pour le Pr Karim Fizazi, "Les résultats de l’étude française GETUG 12 démontrent clairement pour la première fois le bénéfice de la chimiothérapie pour prévenir les rechutes. Par ailleurs, ce bénéfice est obtenu sans toxicité à long terme supplémentaire pour les patients".
- L’étude américaine RTOG 0521 présentée lors du même congrès a recruté 562 hommes atteints de cancers à haut risque8. La moitié a reçu le traitement standard, l’autre le traitement standard associé 6 cycles de chimiothérapie 4 semaines après la radiothérapie. Résultat : après 4 ans de suivi, la survie globale passe de 89 % à 93 % grâce à l’ajout de la chimiothérapie. C’est la première étude suggérant un bénéfice en survie, même si la puissance statistique de ce gain reste discutable.
Faut-il alors changer la pratique et ajouter la chimiothérapie au traitement standard des cancers de la prostate localement avancés ? "Ces trois études attestent d’une tendance mais elles ne devraient pas induire aujourd’hui un changement des pratiques. Il faut attendre d’avoir un suivi plus long de ces études ou d’autres, qui nous permettra de savoir avec certitude si l’ajout de la chimiothérapie permet d’éviter l’apparition des métastases et améliore la durée de vie des patients" conclut prudemment le Pr. Fizazi.
En conclusion, le traitement des cancers métastatiques doit évoluer. Proposer une chimiothérapie d’emblée, en plus du traitement par hormonothérapie, devient le nouveau standard. Pour les cancers de la prostate à haut risque, il faut un suivi plus long des études en cours avant de savoir s’il faut changer les pratiques.