ASCO : le télésuivi efficace chez les patients qui suivent un traitement anticancéreux par voie orale
Lors de l’ASCO 2020, le plus grand congrès international sur le cancer, une étude française a démontré qu’un télésuivi des patients traités par thérapies anticancéreuses orales permet de réduire les risques d’effets secondaires, d’hospitalisations en urgence et d’optimiser le traitement.
Mis en place en 2015 par des chercheurs de Gustave Roussy, le dispositif CAPRI (acronyme de (CAncérologie Parcours de soins région Île-de-France)1 a pour but de suivre les patients à distance et de réduire les risques d’effets secondaires liés à la prise d’une chimiothérapie orale.
Traitement anticancéreux oraux : des avantages certains mis un suivi problématique
Les traitements anticancéreux par voie orale sont de plus en plus fréquemment utilisés. Ils ont l’avantage d’être plus faciles pour le patient, qui peut renouveler en ville le traitement et ne doit pas se rendre systématiquement à l’hôpital pour une administration par voie intraveineuse.
Mais cette administration du traitement à domicile peut néanmoins poser des problèmes. Les chercheurs pointent du doigt le manque de suivi des patients pour s’assurer de la bonne tolérance des médicaments. "Hors rendez-vous usuels avec l’oncologue tous les trois mois, aucune recommandation scientifique claire n’indique à quel rythme il convient de suivre un patient sous thérapie orale" informe Dr. Olivier Mir, oncologue médical à Gustave Roussy et principal auteur de l’étude.
Diminuer le risque lié aux effets secondaires
En fonction des molécules utilisées, ces traitements provoquent de nombreux effets secondaires de tous types. "Le problème, lorsqu’ils surviennent, est que cela se produit à la maison. Compte tenu de la multiplicité des molécules sur le marché, ni les médecins traitants ni les pharmaciens d’officine ne sont préparés à les gérer" regrette le spécialiste.
Résultat : les risques de toxicité peuvent être graves et nécessiter l’hospitalisation du patient dans certains cas, la diminution ou bien l’arrêt du traitement. On estime ainsi que 15 % des patients sous thérapie orale doivent suspendre de façon momentanée leur traitement anticancéreux ou doivent réduire les doses nécessaires pour soigner leur cancer (dose intensité relative RDI).
Moins d’effets secondaires et un traitement optimisé
Pour lutter contre ce problème, Gustave Roussy a mis en place un télésuivi des patients qui prennent ces traitements. Pour démontrer l’efficacité de cette prise en charge, une étude clinique randomisée de phase III impliquant 609 patients atteints de tous types de cancers métastatiques et traités par un anticancéreux oral ont été recrutés entre 2016 et 2019. Ces volontaires ont suivi une thérapie ciblée ou une chimiothérapie à l’exclusion de l’hormonothérapie seule1,2.
La moitié des patients a bénéficié du télé-suivi CAPRI en plus du suivi standard par leur oncologue référent :
- Au bout de six mois, la dose d’intensité relative RDI se révèle "significativement plus élevée" chez les patients aussi suivis par CAPRI (93,4%) contre 89,4% dans le groupe standard ;
- Les toxicités de grade 3-4 sont de 27,6% en télésuivi CAPRI contre 36,9% pour les autres patients ;
- Le nombre d’hospitalisations en cours de traitement oral est diminué aussi : 15,1% contre 22% ;
- Le dispositif a amélioré l’expérience patient.
Ces chiffres encourageant "lui permettent de s’imposer comme nouveau standard de suivi des traitements anticancéreux oraux" s’exclame Dr. Olivier Mir. "À condition de mettre les moyens dans l’organisation humaine et de former les infirmières d’oncologie à ce nouveau métier d'infirmière de coordination, le dispositif est parfaitement transposable à tous les centres de traitement de cancers" ajoute-t-il.
Le dispositif CAPRI en pratique
Le patient se voit d’abord prescrire le traitement oral et reçoit toutes les informations nécessaires par l’oncologue sur la prévention et la gestion des éventuels effets secondaires. Puis, il est inscrit dans le dispositif CAPRI, interface disponible sur internet et application mobile. La plateforme est accessible au personnel soignant que le patient aura désigné : un médecin traitant, un pharmacien ou encore un infirmier à domicile.
Le patient peut ainsi :
- Enregistrer ses rendez-vous ;
- Consulter des comptes rendus médicaux ;
- Consulter les coordonnées des professionnels de santé qui interviennent dans sa prise en charge ;
- Avoir accès à une sélection d’informations médicales validées sur sa maladie, le traitement et ses effets ;
- "Transmettre toute donnée relative au suivi du traitement, notamment des questions ou des inquiétudes, à l’équipe d’infirmier-e-s de coordination joignables sur une ligne dédiée". Ce personnel assure un suivi régulier par téléphone ou messagerie sécurisée "à un rythme programmé lors de l’initiation du protocole". L’étude a établi un suivi hebdomadaire pendant un mois et demi, espacé petit à petit.
À chaque contact avec le patient, l’infirmier(e) renseigne une fiche d’informations et consulte l’arbre décisionnel : dans 75% des cas, il ou elle peut répondre seul(e) aux sollicitations du patient. "Toutes les toxicités sauf grave de grade 3 qui impliquerait un arrêt de traitement ne nécessitent pas l’intervention de l’oncologue" indique Olivier Mir.
CAPRI : un outil de télésuivi adaptable à d’autres traitements
Des hôpitaux sont intéressés et il se pourrait que le dispositif soit adapté à d’autres situations de télésuivi à domicile, comme pour les patients atteints du Covid-19, par exemple3,4. CAPRI pourrait également être développé et adapté pour le suivi de thérapies orales au long cours comme pour l’hormonothérapie (traitement adjuvant dans les cancers de la prostate et cancers du sein et qui exposent aussi à des effets secondaires) ou d’autres traitements plus récents qui posent d’autres types de toxicité…
La recherche autour de CAPRI devrait également identifier les populations qui en tirent le plus grand bénéfice afin de l’adapter au mieux, le décliner pour d’autres types de tumeurs… En d’autres termes, CAPRI, c’est loin d’être fini !