Epilepsie : les incroyables défaillances de sa prise en charge
En 2015, force est de constater qu’en France, la prise en charge et le parcours de soins des personnes épileptiques présentent de nombreuses défaillances et inégalités. En cause, des filières de soins pas assez nombreuses et des grandes difficultés d’accès à l’électroencéphalogramme (EEG), indispensable pour le diagnostic et le suivi des patients. Les associations et sociétés savantes interpellent les pouvoirs publics sur cette incroyable situation.
Epilepsie : la 2ème maladie neurologique après Alzheimer
On estime que l’épilepsie touche environ 1 % de la population en France, soit 500 000 personnes. "Il s’agit de la deuxième maladie neurologique après l’Alzheimer", déclare le Pr Didier Leys, Président de la Société française de neurologie (SFN). La maladie débute souvent avant l’âge de 18 ans et, si le patient est diagnostiqué sans délai, correctement pris en charge et bien suivi, sa vie ne sera pas ou très peu altérée par la maladie, précise l’expert. Pourtant, ajoute-t-il, "la prise en charge présente des inégalités au niveau territorial et reste globalement insuffisante". Résultat : pour de nombreux patients la maladie a un retentissement majeur sur le plan physique, psychologique, social et professionnel, avec également des risques en cas de conduite automobile.
De plus, le regard sur cette pathologie est encore de nos jours empreint de craintes et de fausses croyances très négatives, voire surnaturelles, qui poussent certains patients à cacher leur maladie.
Une prise en charge incroyablement insuffisance
Au cours d’une conférence de presse, les spécialistes et représentants d’associations de patients se sont accordés pour dire qu’en France, il existe des inégalités d’accès aux soins en épileptologie. En effet, des insuffisances flagrantes existent dans le diagnostic, la prise en charge et le suivi des patients souffrant d’épilepsie. Les raisons principales expliquant ces déficiences sont :
Un nombre insuffisant de filières de soins
Pour le Pr Bertrand de Toffol, neurologue épileptologue à Tours et Président du Comité national pour l’épilepsie, le nombre de centres de référence est largement insuffisant en France. "Il en faudrait au moins une trentaine de centres en plus", avec une répartition plus harmonisée et équitable sur le territoire national. Selon l’expert, "les centres sont parfois à 200 Km du lieu de vie de certains patients". Il en résulte un engorgement de ces centres, avec des délais de consultation de 6 mois ou plus pour une première visite diagnostique. Mais à côté de ces centres, il faudrait également augmenter le nombre de centres tertiaires de référence, avec du personnel et du matériel nécessaire pour l’évaluation de certaines épilepsies graves, pour l’implantation d’électrodes intracérébrales et pour la pratique de la chirurgie de l’épilepsie.
Un accès difficile à l’EEG
Le même manque flagrant concernant le nombre et la répartition des EEG sur le territoire est confirmé par le Dr Arnaud Biraben, neurologue épileptologue à Rennes et Président de la Ligue française contre l’épilepsie. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le Dr Biraben, seuls 4,8 % des personnes épileptiques voient un neurologue une fois par an alors que 90 % des patients n’ont pas eu d’EEG dans l’année. Le Dr Biraben précise que pourtant, "l’EEG est l’examen clé du diagnostic d’épilepsie", mais il est aussi indispensable pour le suivi et l’ajustement du traitement des patients. Il existe également un manque de formation des neurologues exerçant en libéral. L’expert précise cependant qu’actuellement, il est difficile de cumuler en activité libérale le temps de consultation et de réalisation de l’EEG en raison d’une très mauvaise valorisation de l’acte. Le Dr Biraben plaide également pour que cette situation soit résolue au plus vite car "l’épileptologie sans EEG est comme conduire la nuit sans phares".
Les conséquences pour les patients épileptiques
Ces défaillances ont des conséquences lourdes pour les patients, parmi lesquelles :
- Des problèmes de diagnostic portés par excès ou par défaut.
- Des retards au diagnostic qui est préjudiciable pour le patient, pour ses aptitudes à conduire et pour exercer certaines professions.
- Des problèmes sociaux faute de diagnostic précis.
- Des problèmes de surveillance lors de la baisse ou de la modification du traitement.
- Des problèmes de traitement inutile ou inadapté qui peuvent avoir des conséquences lourdes au plan psychologique, neuropsychologique (lenteur, mémoire…) ainsi que des effets tératogènes pour certains médicaments.
Laïla Ahddar, Présidente de l’association Epilepsie France confirme que les conséquences des erreurs de prise en charge peuvent être dramatiques et conduire à des situations d’extrême précarité, de dépression et de désespoir.
Le parcours de soins chaotique des enfants épileptiques
Selon le Pr Sylvie N’Guyen, neuropédiatre à Lille et Secrétaire générale de la Société française de neuropédiatrie, les enfants épileptiques présentent aussi "des parcours particulièrement chaotiques" alors qu’ils nécessitent une prise en charge spécifique et cela dès la première crise. Pour la spécialiste, il est primordial que les enfants puissent avoir un accès rapide à un professionnel formé à l’épilepsie de l’enfant et à l’EEG de l’enfant. Cela permettra un traitement adapté et une prise en charge globale tout au long de son enfance, ainsi qu’un accompagnement de la famille.
Le Pr N’Guyen a déclaré qu’un problème particulièrement important est le passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte et qu’il est indispensable que le relais entre le neuropédiatre et le neurologue soit organisé avec l’appui du médecin traitant. En effet, "trop de jeunes adultes arrêtent leur suivi neurologique, avec des traitements qui sont parfois non adaptés ou poursuivis inutilement" déclare la spécialiste.
Un appel aux pouvoirs publics
Face à cette situation, la Société Française de neurologie (SFN), la Société française de neurologie pédiatrique (SFNP) ainsi que tous les acteurs concernés par l’épilepsie demandent que les pouvoirs publics leur permettent de structurer et d’organiser une vraie filière de prise en charge des patients et de favoriser le recours à l’EEG par les neurologues. Ils demandent également des aides d’information pour changer le regard sur la pathologie.