"J’ai fait le choix de l’abstinence"
Souvent considérée comme un sujet tabou ou douloureux pour ceux qui la subissent, l’absence totale de rapports sexuels peut aussi être un choix. Caroline Le Roux, sexologue et psychologue, nous expose son point de vue sur l’abstinence volontaire
Souvent considérée comme un sujet tabou ou douloureux pour ceux qui la subissent, l’absence totale de rapports sexuels peut aussi être un choix. Caroline Le Roux, sexologue et psychologue, nous expose son point de vue sur l’abstinence volontaire.
"Nous évoluons dans une société où le sexe est partout", écrit Emmanuelle Richard dans Les corps abstinents (Eds Flammarion). L’autrice, qui a été elle-même abstinente pendant cinq ans, ajoute que "ne pas ou moins participer revient à être tout de suite perçu comme un perdant de la dictature du jouir, un relégué du capitalisme de la séduction. C’est basculer du côté de la honte et d’une prétendue anormalité". Généralement, lorsque le terme d’abstinence est utilisé, il renvoie à deux types de situations : l’abstinence choisie par convictions religieuses (le refus du sexe avant le mariage) ou l’abstinence forcée (quelqu’un souhaiterait avoir des relations sexuelles sans y parvenir). Quel que soit le contexte, elle est d’ordinaire incomprise (tout comme l’asexualité) et majoritairement perçue de façon négative. Pourtant, il existe des personnes qui, sans y renoncer définitivement, font le choix de ne plus avoir de rapports sexuels, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la religion.
"J’ai décidé de me mettre sur pause", Alicia, 42 ans
Alicia a 42 ans et, entre ses 32 et ses 39 ans, elle a été abstinente sexuelle. "Lorsque je me suis séparée du père de ma fille, j’ai enchaîné sur deux relations qui n’ont rien donné. Je suis arrivée à un stade où j’ai décidé de me mettre sur pause. C’était un réel besoin, une envie de ne plus avoir d’hommes ni de sexe dans ma vie". Durant cette période, Alicia constate rapidement qu’elle en tire des bénéfices : "Je me suis d’abord aperçue que je pouvais tout à fait vivre sans sexe, et ça, c’était libérateur. J’ai compris que ce n’était pas une obligation ou un devoir. Ensuite, j’ai commencé à prendre des cours de théâtre, à faire de la peinture, je suis aussi devenue bénévole dans des associations. En fait, j’ai trouvé un autre équilibre en m’occupant de ma vie sociale et en m’investissant dans de nouvelles activités".
Si elle confie ne s’être jamais sentie seule et ne pas avoir souffert de la situation, Alicia est toutefois heureuse d’avoir renoué avec sa sexualité depuis trois ans. "Certains pourront se dire que j’ai perdu des années importantes de ma vie de femme, mais ça m’est égal car tout ce chemin m’a permis d’être beaucoup plus épanouie aujourd’hui".
"Cette volonté d’abstinence cache quelque chose qui ne va pas bien"
En exposant l’histoire d’Alicia à Caroline Le Roux, sexologue et psychologue, notre spécialiste revendique d’emblée qu’elle ne croit pas à l’abstinence choisie. "Comme toujours, il ne faut pas généraliser mais je pense que, pour la grande majorité, il y a quelque chose de caché derrière cette volonté d’être abstinent, quelque chose qui ne va pas bien". Selon elle, cette décision d’interrompre pour un temps plus ou moins long sa vie sexuelle a souvent à voir avec des déceptions amoureuses, des problèmes de santé ou d’autres traumatismes.
Par ailleurs, elle signale que l’abstinence, loin d’avoir des bienfaits, serait plutôt une source de frustration. "La sexualité est l’un de nos besoins vitaux, précise-t-elle, elle contribue au bien-être global d’un individu. Alors, si on la supprime, par quoi on la remplace ? On peut choisir de ne plus avoir de rapports avec quelqu’un d’autre mais de continuer à exprimer notre pulsion sexuelle à travers la masturbation, ce qui est sain et maintient l’équilibre. Il est aussi fréquent de voir des gens avec une grande fibre artistique compenser le manque de sexe par la création, les travaux manuels". Et lorsque l’abstinence dure plusieurs années, y a-t-il lieu de s’inquiéter ?
Abstinence volontaire : faut-il consulter un spécialiste ?
Caroline Le Roux l’affirme : si parler de sexualité est déjà délicat pour de nombreuses personnes, se confier sur l’absence de sexualité au sein de sa vie intime l’est davantage. "Si une personne vit vraiment bien son abstinence, nul n’a à intervenir et il est inutile de la faire culpabiliser avec de pseudo-normes sur la fréquence idéale des rapports sexuels : tout ça, ça n’existe pas". En revanche, si après plusieurs mois ou années, on se pose des questions ou que cela devient une cause de souffrance, il est conseillé de consulter un(e) spécialiste, "pour en discuter sans craindre d’être jugé, sans avoir peur de dire les choses qu’on ne dirait pas à ses amis ou sa famille, et comprendre pourquoi on en est arrivé là".