Cancer du poumon : l’immunothérapie change la donne
Après les thérapies ciblées, l’immunothérapie change la prise en charge du cancer du poumon, remplaçant même la chimiothérapie pour certains patients. Découvrez les résultats prometteurs de ces nouvelles armes contre l’un des cancers les plus redoutables.
En France, le cancer du poumon touche 30 000 à 40 000 nouvelles personnes chaque année, dont 78 % d’hommes et 22 % de femmes, ce qui en fait le 4ecancer le plus fréquent en France1. Le pronostic de ce cancer reste souvent très sombre, le plus souvent à cause d'un diagnostic tardif. Mais une nouvelle classe de médicaments pourrait changer la donne.
La difficile prise en charge du cancer du poumon
On distingue deux grands types de cancers bronchiques : les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) et les cancers bronchiques à petites cellules (CBPC)2. Ils représentent respectivement environ 85 % et 15 % des cancers bronchiques. "Parmi les CBNPC, on distingue deux types : les adénocarcinomes (près de 2/3 des cas), les carcinomes épidermoïdes ou à cellules squameuses (près d’1/3 des cas), les carcinomes à grandes cellules (près de 10 % des cas)" précise le Fabrice Barlesi, chef du Service d'Oncologie Multidisciplinaire & Innovations Thérapeutiques, Hôpital Centre Hospitalier Universitaire de Marseille (AP-HM).
Pour les cancers bronchiques non à petites cellules (les plus fréquents), le traitement repose sur :
- La chirurgie constitue le traitement de référence lorsque le stade du cancer, c’est-à-dire son degré d’extension, et l’état de santé général du patient le permettent. "Ce n’est malheureusement le cas que pour un tiers des patients" précise le Pr. Barlesi.
- Pour les formes avancées, la radiothérapie, la chimiothérapie et depuis 2010, les thérapies ciblées sont utilisées, en fonction de chaque cas. Le choix des thérapies ciblées dépend principalement de la présence au niveau de la tumeur d’une altération génétique spécifique (mutation EGFR, translocation EML4-Alk…), la cible visée par ces traitements.
Quand des résistances apparaissent (un peu comme les bactéries échappent aux antibiotiques, la tumeur va développer des résistances à ces traitements au bout d’un certain temps), des thérapies ciblées de 2e ligne peuvent prendre le relais. "Récent progrès, le réajustement du traitement peut se faire grâce à des biopsies liquides pour certaines tumeurs (pour les mutations de l’EGFR notamment), capables d’identifier la mutation à cibler. On n’est plus obligé d’aller re-biopsier la tumeur. Pour prendre une image, au lieu de casser une branche de la tumeur, on ramasse les feuilles. Et pour le patient, c’est beaucoup plus confortable" précise le Pr. Nicolas Girard, oncologue spécialiste du poumon à l’Institut Curie. Pour les 15 à 20 % des patients qui peuvent recourir aux thérapies ciblées, la survie qui n’était que de quelques mois au début des années 2000 est désormais de plusieurs années3.
L’immunothérapie, nouvelle arme contre le cancer du poumon
Nouvelle révolution thérapeutique, l’immunothérapie4 vise à restaurer les capacités du système immunitaire à lutter contre le cancer. Parce qu’on comprend mieux comment les cellules tumorales trompent la vigilance du système immunitaire en bloquant certains "points de contrôle". Ces "immune checkpoints" sont présents à la surface de certaines cellules du système immunitaire (lymphocytes et cellules dendritiques) ou de certaines cellules tumorales. En quelques mots, il s’agit de réactiver les défenses immunitaires contre les tumeurs. Deux principales voies ont été découvertes :
- La protéine CTLA-4 présente à la surface des lymphocytes T va agir comme un interrupteur et va les maintenir inactifs. Les médicaments visent alors à bloquer CTLA-4 (comme l’ipilumumab).
- La molécule PD-1 (programmed cell death) à la surface des lymphocytes T se lie à une autre molécule présente à la surface de certaines cellules tumorales, PD-L1. Cette interaction va alors désactiver (ou désarmer) le lymphocyte T. Les médicaments sont alors soit des inhibiteurs de PD-1 (comme le nivolumab, le pembrolizumab, le durvalumab, l'atezolizumab…) ou des inhibiteurs de PD-L1 (comme l’atezolizumab).
D’autres immunomodulateurs sont à l’étude (parmi lesquels ceux ciblant la voie de l’adénosine) mais c’est aujourd’hui la voie PD-1 et PD-L1 qui change déjà le traitement du cancer du poumon.
Mais comme les thérapies ciblées, ces immunothérapies n’ont pas la même efficacité chez tous les patients. L’un des enjeux est d’identifier ceux qui vont répondre à ces médicaments. Pour les anti-PD 1, la recherche sur la tumeur du biomarqueur PD-L1 est aujourd’hui le meilleur test, même s’il semble perfectible.
L’immunothérapie change déjà le traitement du cancer du poumon
Aujourd’hui, le pembolizumab (Keytruda © commercialisé par les laboratoires Merck&Co) a démontré que chez les patients dont tumeurs expriment à plus de 50 % le biomarqueur PD-L1, qu’il était plus efficace que la chimiothérapie en première ligne5. La médiane de survie globale (délai dans lequel la moitié des patients sont encore vivants) est plus que doublée avec Keytruda®, atteignant 30 mois pour les patients sous pembrolizumab versus 14,2 mois pour les patients sous chimiothérapie, soit un gain absolu de survie de près de 16 mois, avec beaucoup moins d’effets secondaires. Concernant au total près de 25 % des patients atteints de cancer avancés, sa prescription est conditionnée à la réalisation d’un test qui va démontrer que la tumeur exprime fortement PDL16.
Enfin pour des patients dont la tumeur progresse malgré le recours à une chimiothérapie ou à des thérapies ciblées, une immunothérapie indépendamment du statut PD-L1 de la tumeur augmente la survie. Suite à différentes études, le nivolumab (Opdivo ®), le pembrolizumab (Keytruda ®) et l’atezolizumab (Tecentriq ®) sont disponibles pour les patients en échec de traitements8,9,10.
Enfin, l’immunothérapie peut intervenir sur des cancers moins avancés. Le durvalumab (Imfinzi ®) a été autorisé au Canada et aux Etats-Unis pour le traitement des patients atteints d’un cancer du poumon de stade 3 (localement avancé et inopérable dont la maladie n’a pas progressé après une chimio-radiothérapie à base de sels de platine). C’est le premier traitement immuno-oncologique indiqué après une chimio-radiothérapie pour ces patients, mais il n’est pas encore autorisé en France pour cette indication11.
Le futur de l’immunothérapie contre le cancer du poumon
Lors de l’ASCO 2018, différentes études montrent que les indications de ces immunothérapies pourraient demain être élargies en association avec d’autres composés (des chimiothérapies, des thérapies ciblées, des inhibiteurs de PARP, des associations d’immunothérapies, des anticorps monoclonaux simples, conjugués, bivalents…). Certaines études devraient rapidement changer la prise en charge des patients.
Une vaste étude de phase III montre que le pembrolizumab (Keytruda®) est plus efficace que la chimiothérapie (la norme de soins actuelle) pour la majorité des patients atteints du cancer du poumon non à petites cellules avancé ayant une expression PD-L1 d’au moins 1% (près des deux tiers des patients)12. Donc même chez les patients dont la tumeur exprime très peu PDL-1, l’immunothérapie fait mieux que la chimiothérapie ! L’immunothérapie va-t-elle donc être donnée à la place de la chimiothérapie pour la majorité des patients atteints d’un cancer de stade avancé ? "Pas forcément, parce les données d’efficacité restent fortement corrélée avec l’expression PD-L1 des tumeurs13. Et puis il faut mettre ces données en parallèle avec d’autres études récentes14 qui montrent que la combinaison chimiothérapie + immunothérapie bénéficient d’emblée à tous les patients. Je pense que notre futur standard de traitement sera la combinaison des deux, sauf en cas de contre-indications pour la chimiothérapie" nous précise le Pr. Nicolas Girard.
La combinaison de plusieurs immunothérapies pourrait-elle demain remplacer la chimiothérapie ? Des études sont en cours mais jusqu’alors, on peine à identifier les patients qui vont pleinement bénéficier de l’immunothérapie. Au-delà de la présence de PD-L1, certaines études laissent penser que le degré de différences des cellules cancéreuses avec les cellules normales (la charge mutationnelle) pourrait être un bon marqueur d’efficacité.
Présentées à l’ASCO 2018, de nombreuses combinaisons associant immunothérapie à d’autres composés ont été présentées. Parmi elles, l’association avec un anti-angiogénique (bevacizumab ou Avastin ®) semble prometteuse15, mais des résultats préliminaires encourageants concerne des combinaisons avec d’autres thérapies ciblées, avec des anti-parp (comme l’olaparib)…
La recherche contre le cancer du poumon se concentre aujourd’hui sur la définition de la combinaison la plus efficace pour chaque patient. Il faudra attendre encore quelques années avant d’avoir les réponses, mais les progrès sont néanmoins très rapides pour ce cancer meurtrier. "Au début des années 2000, 70% des patients atteints d’un cancer du poumon métastatique étaient décédés après un an de traitement. Aujourd’hui après un an, plus de 70% sont en vie !" s’enthousiasme le Pr. François Morère, qui dirige le département d'oncologie-hématologie à l’hôpital Paul Brousse à Paris.