Cancer : le patient acteur de sa prise en charge améliore son pronostic
Depuis quelques années lors du congrès de l’ASCO, les "Patient reported outcomes" (PRO) tiennent le devant de la scène en cancérologie. Il s’agit pourtant simplement de recueillir le point de vue du patient lui-même sur ses symptômes, son état de santé, sa qualité de vie… pour améliorer sa prise en charge et son pronostic. Zoom sur cette petite révolution qui fait du patient un acteur de sa prise en charge.
Mais qu’entend-on par PRO ?
Les "Patient reported outcomes" (PRO) permettent de mesurer les données rapportées par le patient sur la perception de son état de santé, de ses symptômes, de son moral, de sa qualité de vie… On peut pour cela utiliser le bon vieux papier ou plus facilement des formulaires en ligne, des applications sur smartphone ou objets connectés… Les patients atteints de cancer sont très majoritairement désireux et capables de déclarer eux-mêmes les PRO régulièrement pendant le traitement.
De multiples études ont montré que les soignants passaient à côté de la moitié des symptômes de leur patient durant la prise en charge du cancer. "Tout ne peut être dit dans le temps de la consultation. Et cela débouche sur plus de souffrance pour les patients, moins de compliance dans le suivi des traitements, plus de visites aux urgences et d’hospitalisation pour des symptômes non évoqués et donc non gérés qu’il s’agisse de douleur, de dyspnée, de déshydratation, de nausées, de diarrhée, de fatigue…" précise le Dr Florian Scotte, oncologue médical à l’hôpital Foch et spécialiste des soins oncologiques de support. Les PROs peuvent combler ce vide en complétant la consultation, en améliorant la relation avec les patients et en permettant une meilleure gestion de leurs symptômes et de leur qualité de vie.
Une amélioration de la qualité de vie mais également du pronostic
Plusieurs études prouvent désormais que la surveillance de ces données a une influence sur le pronostic du patient.
- En 2016, le Dr. Fabrice Denis cancérologue radiothérapeute à l’Institut Jean-Bernard (Le Mans), a comparé l’efficacité d’une application de surveillance des PROs destinée aux patients traités pour un cancer du poumon par rapport à la surveillance standard (avec des visites chez le médecin et un scanner tous les 3-6 mois - ou plus souvent à la discrétion du médecin). Résultat : les patients qui ont bénéficié de l’appli qu’il a mis au point, ont gagné en moyenne 8 mois de vie pour ce cancer de mauvais pronostic. Des résultats confirmés lors de l’édition 2018 de l’ASCO1. "Concrètement, les patients remplissent un questionnaire portant sur une douzaine de symptômes chaque semaine. Un algorithme filtre les réponses et alerte l’équipe médicale si une rechute, une complication ou un problème urgent est suspecté" précise Fabrice Denis. La start-up à l’origine de l’appli a déposé un dossier de demande de remboursement auprès des autorités sanitaires en avril 2018 et espère devenir la première appli remboursée en France. Une dizaine de centres pilotes devraient l’expérimenter rapidement en France.
- En 2017, l’équipe du Dr Basch a suivi à 766 patients atteints de cancer métastatique et sous chimiothérapie grâce à une application leur permettant de signaler leurs symptômes en temps réel (perte d'appétit, difficulté à respirer, fatigue, bouffées de chaleur, nausée, douleur…). En cas de symptômes important ou s'aggravant, une alerte était déclenchée pour les infirmières. Résultat : les patients qui ont bénéficié de cet outil (baptisé Symptom Tracking and Reporting ou STAR développé pour la recherche et non commercialisé)3 ont vécu en moyenne 5 mois de plus que ceux qui ont eu un suivi classique (31,2 mois versus 26 mois)2.
Et cette année encore, les PROs sont à l’honneur.
Un engouement qui se poursuit pour le bénéfice de tous
"Lors de l’édition 2018 de l’ASCO, d’autres études basées sur ces PROs ont été présentées, certaines s’appuyant sur un suivi en ligne, des applications… Une équipe de la Mayo Clinic a ainsi évalué la pertinence d’utiliser une Apple Watch pour suivre l’état physique des patients ainsi que des Emojis pour évaluer leur fatigue et leur état psychologique3. Une autre étude a évalué la faisabilité d’un recueil des données par le patient durant son hospitalisation, afin qu’elle puisse déboucher sur un projet de soins particulier au cours de son hospitalisation, et dès son retour à la maison4" s’enthousiasme le Dr Florian Scotte, tant le bénéfice est évident pour les patients, pour les soignants… et de plus en plus aussi pour les industriels.
Comprendre les symptômes en vie réelle des patients est essentiel pour évaluer les traitements contre le cancer, et c’est ce que permettent les questionnaires PRO. Dès les études de phases précoces, ces données peuvent renseigner sur la tolérance et donc le dosage du médicament. Plus tard dans le développement du médicament, les PRO peuvent être utiles pour évaluer l’effet du médicament sur les symptômes liés à la maladie, comme la douleur ou la fatigue. La sensibilisation des industriels aux PROs a été facilitée par la publication par les autorités sanitaires américaines (FDA)5,6 et européenne (EMA)7 à la fin des années 2000, de deux guides sur l’utilisation de ces données.
Au-delà de la bonne volonté, une réelle volonté politique est nécessaire
Alors qu’est-ce qu’on attend pour généraliser ces pratiques plus largement encore à l’hôpital, au niveau de la médecine de ville… ? Plusieurs défis sont à relever, comme nous le soulignait en 2017 le Dr Pierre Heudel, oncologue et coordonnateur médical du projet myCLB, un portail d’informations et de liaisons pour les patients du Centre Léon Bérard (Lyon) : "Contrairement à ce que l’on pense, les principaux freins ne sont pas techniques mais plutôt organisationnels. Concrètement : qui récupère les alertes y compris le week-end ? Qui coordonne le parcours de soins du patient entre son domicile et ses consultations à l’hôpital ou chez le médecin ? Comment s’assurer que les données recueillies par tel établissement sont exploitables par tel autre ?…". Et si demain en plus des données PROs, on récupérait aussi celles issues des applis ou objets connectés sans que le patient n’ait à les enregistrer lui-même (activité physique, rythme cardiaque…), comment interpréter intelligemment la masse de données ainsi récupérées ?
La création de postes de coordinateur de soins, la mise au point d’algorithme d’intelligence artificielle, la tarification de ces actes bénéfiques pour le patient mais aujourd’hui non valorisés, la coordination d’un tel effort au niveau national… ne trouveront de réponses qu’à travers une volonté politique forte en ce sens. "Les bénéfices que l’on démontre aujourd’hui sur le cancer sont très vraisemblablement transposables à d’autres maladies, en particulier les maladies chroniques. Demain, la Haute Autorité de santé et l’Institut national du cancer… peuvent décider de faire de cette stratégie une priorité et d’impulser une dynamique en ce sens" conclut le Dr Scotté, optimiste. Une telle stratégie ne ferait finalement que traduire la promesse mise en avant depuis plusieurs années par les gouvernements successifs : remettre le patient au cœur du système de santé.