Michel Lecendreux : nous ne sommes pas égaux devant le sommeil
Près de 70 % des Français se plaignent de leur sommeil à un moment ou à un autre de leur vie. Psychiatre et pédopsychiatre, le Dr Michel Lecendreux a créé en 1990 la consultation des troubles du sommeil de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital Robert Debré à Paris. Auteur de "Réponses à 100 questions sur le sommeil", il nous dévoile les inégalités face aux troubles de la nuit…
Doctissimo : Sommes-nous tous égaux devant le sommeil ? Vous parlez des "boulimiques" et des "anorexiques" du sommeil…
Michel Lecendreux : Nous ne sommes pas tous égaux devant le sommeil mais nous sommes tous obligés de dormir. Notre temps de sommeil idéal est gouverné par nos gènes, par notre horloge biologique et influencé par des facteurs environnementaux. Certaines personnes se contentent d'une nuit de moins de 6 heures, tandis que d'autres ont besoin de leurs 10 heures de sommeil. Pour la grande majorité des adultes, le temps de sommeil moyen est de huit heures. Cependant, certaines personnes font le choix délibéré de rester longtemps au lit alors que d'autres au contraire restreignent au maximum leur temps de repos.
Pourquoi certains sommeils ne sont-ils pas réparateurs ?
Michel Lecendreux : Il faut distinguer les notions de quantité et en qualité. Les stades de sommeil peuvent être altérés par des anomalies qui empêchent le dormeur d'atteindre la phase profonde de sommeil, celle qui est connue pour être réparatrice. Les causes peuvent être nombreuses, par exemple liées à des anomalies respiratoires comme les apnées au cours du sommeil ou le phénomène dit des jambes sans repos. Certains troubles peuvent être dus à une mauvaise perception des moments où l'on a dormi. Ces personnes se disent insomniaques, pensant ne pas avoir fermé l'oeil de la nuit alors qu'elles ne parviennent pas à mémoriser les périodes pendant lesquelles elles ont effectivement dormi.
Les navigateurs solitaires pendant les courses en haute mer dorment par tranches de 4 heures environ avec des siestes de 20 à 30 minutes. Dans ce cas le but est de limiter les risques d'accidents, mais aussi de ne pas accumuler des périodes de privation de sommeil trop importantes. Une dette de sommeil trop importante peut être à l'origine d'hallucinations sensorielles, de distorsion du champ visuel, de troubles attentionnels majeurs.
Comment se fait-il que certaines personnes peuvent se réveiller, tenir des conversations et n'en avoir aucun souvenir au réveil ?
Michel Lecendreux : Elles peuvent être sujettes à de véritables "ivresses de sommeil" qui peuvent entraîner une amnésie totale de l'épisode. Certaines parasomnies comme le somnambulisme peuvent aussi être à l'origine de comportement complexes au cours du sommeil. En France, 1 % des adultes seraient concernés par cette affection, dont la prévalence atteint 15 % chez l'enfant.
De quelle façon les besoins de sommeil évoluent-ils selon les âges ?
Michel Lecendreux : Les adolescents connaissent des insuffisances chroniques de sommeil, sans qu'ils puissent rattraper leur déficit dans le courant de la journée. Nous assistons aujourd'hui à un phénomène nouveau : on constate même chez les jeunes enfants des états de somnolence diurnes car ils se couchent de plus en plus tard, se calquant volontiers sur le rythme de leurs parents. Chez les personnes âgées, le sommeil est de moins bonne qualité, il est moins profond et moins continu. D'une façon générale, il est préférable chez ces personnes de ne pas dormir dans la journée, de conserver l'alternance jour/nuit en s'exposant à la lumière du jour par exemple, en évitant trop d'activités le soir ainsi que les repas trop lourds ou riches en graisses au dîner.
Pour quelle raison les Français sont-ils champions du monde de consommation de somnifères ?
Michel Lecendreux : Une étude que nous avons réalisée en 1999 auprès de 200 enfants de moins de 2 ans dans le service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital Robert Debré, indiquait que près de 70 % de ces nourrissons prenaient des médicaments à visée sédative. Ces résultats révèlent à quel point les parents et les médecins sont démunis face aux troubles du sommeil des enfants et combien ils sont à même de privilégier l'option médicamenteuse.
Or les effets de l'exposition précoce aux sédatifs sur le système nerveux central sont très peu documentés. Cela est susceptible d'ancrer leur recours dans les habitudes et s'amplifie à l'âge adulte, avec de surcroît la nécessité d'augmenter les doses en raison de l'accoutumance et des effets qui s'émoussent. Pour éviter de tomber dans ce cercle vicieux, il est souhaitable que les médecins généralistes soient à même de mieux répondre à la demande des parents et puissent prodiguer des conseils simples d'hygiène de sommeil.
Quels sont les traitements non médicamenteux conseillés ?
Michel Lecendreux : Les personnes souffrant d'insomnie peuvent bénéficier de séances de relaxation et de sophrologie. A Robert Debré nous proposons des thérapies comportementales au cours desquelles les enfants adoptent de nouvelles règles d'hygiène de vie. Certains travaillent, lisent, regardent la télévision dans leur lit, en fin de compte le lit n'est plus synonyme de sommeil et le conditionnement ne fonctionne plus. Dès lors ils auront beau se coucher à heure fixe, s'ils ne respectent pas leur rythme biologique ils se retrouvent à ruminer leurs pensées sans trouver le sommeil.
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Que pensez de l'homéopathie et des traitements à base de plantes ?
Michel Lecendreux : Ces produits n'ont pas fait la preuve scientifique de leur efficacité (ni même de leur innocuité), mais sont appréciées de certains insomniaques. L'un des risques inhérents à cette prise chronique ou répétée est celui du conditionnement tant au plan psychique que comportemental.
Le monde du sommeil sur Internet , site du Dr Michel Lecendreux