Pourquoi les femmes sont-elles davantage frappées par la dépression que les hommes ?
Écrit par deux psychiatres, "La dépression au féminin", qui sortira en septembre, décrit un trouble qui toucherait davantage les femmes que les hommes dans le monde actuel. Pourquoi cela et comment pointer cette différence peut-il changer l’approche et la prise en charge des patientes ? Nous avons posé nos questions au Dr Lucie Joly, co-auteure de l'ouvrage.
Dans votre livre, vous décrivez la dépression au féminin. Il y a donc une différence selon le genre ?
Dr Lucie Joly. En effet, et c’est tout le sujet de notre livre avec Hugo Bottemanne (psychiatre à l’hôpital Bicêtre et co-auteur du livre). Aujourd’hui, les chiffres parlent : les femmes sont deux fois plus à risque de faire une dépression que les hommes. En terme de pourcentage, on sait que 8 à 16% des femmes de 18 à 50 ans vont faire une dépression dans leur vie et que ce chiffre monte à 20% pour les femmes enceintes et dans la période du post-partum, et 30% chez les femmes en situation de précarité sociale. Mais celle-ci ne se manifeste pas toujours de la même manière que celle à laquelle on s’attend.
Quels sont les symptômes spécifiques aux femmes ?
Chez la femme, les symptômes vont être ce qu’on appelle "atypiques" : une augmentation du sommeil (plutôt que l’insomnie), une augmentation de l'appétit (plutôt que l’anorexie), une agitation plus qu'un ralentissement psychomoteur vu dans les dépressions dites classiques.
Il y a aussi chez la femme une rythmicité de ces symptômes, mensuelle par exemple, ou même hivernale, la sensibilité aux changement de températures étant également plus fréquente chez les femmes. Il y a donc des spécificités qui sont à mettre en lumière, car pendant très longtemps, les recherches et les essais ne se sont basés… que sur l’homme ! Il devient aujourd’hui primordial que les femmes deviennent prioritaires dans les recherches sur la dépression et la perspective des traitements. On ne peut plus se baser sur des sujets non "personnalisés".
La dépression au féminin est-elle biologique, culturelle, ou les deux ?
Dans la recherche, on suspecte le rôle des cycles de reproduction incluant les menstruations, la grossesse, la ménopause d’avoir un rôle sur la santé mentale. Le syndrome prémenstruel, par exemple, caractérisé par des émotions négatives et des sensations désagréables, touche de 30 à 50% des femmes, et peut aller jusqu'à des idées suicidaires, qui persistent, puis disparaissent dans les deux jours suivant l’arrivée des règles. C’est un fait.
Mais on ne peut pas tout expliquer par la biologie et les hormones. Il y a un aspect culturel et social qu’il faut prendre en compte dans la vie féminine : les conditions de travail, d’organisation conjugale, de harcèlement professionnel, sans oublier la violence conjugale. Tous ces élements jouent un rôle sur la prévalence de la dépression.
Aborder la dépression au féminin peut-il permettre une meilleure prise en charge ?
La médecine avec une approche personnalisée est assez nouvelle. Mais elle a fait de gros progrès par exemple en cardiologie, en prenant en compte les facteurs de risques et les symptômes féminins dans l’infarctus du myocarde. Pour la dépression c’est pareil : puisqu’elle ne se traduit pas de la même façon, il faut une médecine qui n’est plus unisexe, mais personnalisée. Et cela fonctionne. Pour la dépression du post-partum par exemple, cette médecine personnalisée à permis de concevoir le traitement qui vient de sortir aux Etats Unis qui agit sur des récepteurs spécifiques. On pense aussi en termes de molécules ou de doses plus adaptées. Mais il faut pour cela favoriser les essais cliniques sur les femmes. On pensait avant à tort, que les variations hormonales allaient biaiser les résultats. C’est tout le contraire, en prenant en compte ces variations féminines, on s'assure dès aujourd’hui de mieux prendre en charge les femmes.